samedi 9 mai 2015

Goodbye Marty [Diane]

GOODBYE MARTY
You all sat idly by and stared.
If you were forced to eat your own blood
Would you have cared?*

            Willa Wood couru après le ballon rouge qui s’était arrêté en plein milieu de la route, agitant ses belles boucles blondes sur ses épaules. Marty, la border collie de Sam Smith, allongée à l’ombre d’un grand chêne de l’autre côté de la route, en face de la ferme des Wood, dressa la tête et les oreilles, intriguée par les rires de la fillette courant après le ballon. Une action qui se reflétait dans les yeux attentifs de la chienne, bercée jusque-là au seul son des chants de grillons et autres cigales. Elle pressentit immédiatement un sentiment de danger irradiant dans tous ses muscles et ses os. Elle se dressa brusquement sur ses pattes et bondit dans la direction de la route. Sam Smith revenait de sa propre ferme, une glace à la main qu’il savourait avec délectation, lorsque, ébloui par le soleil, son esprit complètement enivré de crème glacé, il distingua devant lui, à une vingtaine de mètres,  sa chienne Marty se dresser brusquement sur ses pattes, et se mettre à courir à toute vitesse vers la route. Le moteur de la voiture était puissant, et la chienne de toutes ses forces poussa la petite Willa de l’autre côté de la route, tandis qu’un déchirant crissement de pneus retentit. Sam Smith sentit son cœur s’arrêter dans sa poitrine lorsqu’il vit voltiger en l’air, avec quelques autres petits morceaux, la patte droite de Marty, encore accrochée à un morceau de cage thoracique. Elle retomba mollement sur la route avec un bruit mouillé de viande ensanglantée. Sam jeta sa glace par terre et couru vers la voiture verte dont le parechoc avant était recouvert de sang.
            La petite Willa était assise sur le rebord de la route, en larmes, son visage recouvert du sang de l’animal. Il y avait des petits morceaux de chair comme des carrés de mousse un peu partout. Le ballon rouge lui-même roulait encore le long de la route, laissant une trace ensanglantée derrière lui. Sortirent de la voiture côté passager une jeune femme blonde en larmes, côté conducteur un jeune homme brun complètement désorienté dont la joue était rougie par la marque d’une main. Horrifiée par ce qui venait de se produire, la jeune femme blonde fit le tour de la voiture et poussa son compagnon en lui hurlant dans les oreilles qu’il avait bien failli tuer une petite fille. Elle l’insulta, l’humilia davantage en visant son manque de virilité et pour finir, lui mit une autre grande gifle, sur l’autre joue, ce qui fit sursauter le jeune Sam déjà tout tremblant d’horreur, venant d’arriver à leur hauteur. L’odeur de caoutchouc brûlé, de goudron chaud frappé par un soleil d’été et d’essence était très forte en plus du ronronnement des grillons accentuaient sa terreur de regarder sous les roues. Elle est peut-être encore vivante se dit Sam dans un dernier souffle d’espoir.
            Il s’approcha lentement du corps désarticulé de sa chienne. En voyant sa patte arrachée et un morceau de sa cage thoracique absent (on lui voyait un morceau de poumon sous le muscle et les côtes), il pensa qu’elle était morte et tout s’écroula à nouveau. Mais Marty commença à gémir les yeux fermés, très faiblement. La surprise de Sam de l’entendre était comme un rayon de soleil perçant une nappe de nuages sombres. Ces pleurs lui rappelèrent ceux qu’elle faisait, par caprice, lorsqu’on ne la laissait pas entrer dans la cuisine, embaumée d’odeurs de nourriture alléchante. Le jeune Sam Smith, le visage rougit par la tristesse, comme suspendu par les pieds au bord d’un précipice, demanda calmement au jeune couple s’ils possédaient une couverture dans leur voiture. La mère de Willa arriva et regarda avec horreur les lieux du drame. Essoufflée, elle souleva sa fille et la serra contre elle et Sam se vit donner par la jeune femme blonde une couverture qu’elle possédait dans le coffre de sa voiture verte. Elle lui dit combien elle était désolée, elle et son petit ami étaient en train de se disputer dans la voiture et ils n’avaient pas vu la petite, ni la chienne. Cette jeune femme elle-même pleurait à chaudes larmes à cause du choc de l’incident qui venait de se produire. A vrai dire, elle était plus bouleversée à présent par la douleur qui émanait comme une onde de chaleur du corps de l’adolescent.

L'abandon [Docteur Benway]

     Il faut qu’on continue, on ne peut pas s’arrêter.
     On pourrait le porter, peut être que…
     Johnson est mort ! On ne peut plus rien pour lui, ça ne ferait que nous ralentir.
Le corps du soldat gisait sur le sol de béton,  une mare rouge écarlate se répandait lentement autour de lui, la vie fuyait à l’opposé de leur destination, comme si elle avait senti le danger imminent qui les encerclait. Une large tâche sombre maculait son uniforme, près de la hanche droite ; la balle avait sifflé dans le silence angoissant, venue de nulle part et l’avait touché lorsqu’ils s’étaient arrêtés pendant une poignée de  minutes, quelques kilomètres auparavant. Le lieutenant Johnson avait tenu jusqu’à maintenant, parvenant à tenir le rythme de leur fuite, avant de s’effondrer.
     On ne sait même pas où on va !!
     Dans notre position, on n’a pas beaucoup de possibilités : on avance tout droit, sans s’arrêter, on suit la route. Je suis votre officier supérieur Lieutenant Taylor, c’est moi qui donne les ordres, si vous désapprouvez mes décisions, vous êtes libre de tracer votre propre chemin seule…
Le lieutenant Daisy Taylor jeta un regard circulaire au décor de fin du monde au milieu duquel elle se trouvait et le régiment repris sa marche.
Ils étaient au 5e jour… du moins, c’est ce que le capitaine Adams avait calculé en l’absence d’un quelconque moyen de mesurer le temps, et en l’absence totale de nuit : depuis leur arrivée sur cette planète, le soleil ne s’était pas couché. 5e jour d’une marche discontinue qui semblait de ne pas avoir de fin. Leur vaisseau avait subi une avarie sévère suite à une collision avec un déchet spatial, les obligeant à atterrir en catastrophe sur une planète inconnue. La plus proche, c’était celle-ci, un caillou stérile et désolé, avec pour seul comité d’accueil, cette route, cette bande de béton anthracite, semblable à celle que l’on trouvait communément sur leur planète d’origine, nue et lisse, comme fraichement posée délicatement tel un tapis sombre en prévision de leur arrivé.
Le vaisseau était trop endommagé pour repartir, il leur fallait trouver de l’aide, sous forme humaine avec de la chance, ou au moins des outils, de quoi se débrouiller seuls… mais très vite, ils s’étaient retrouvés pris à parti, pourchassés par des tirs dont ils n’avaient pu déterminer la provenance. L’un d’eux avait touché Johnson, et sans aucun endroit où se mettre à l’abri, leur seul opportunité fut de courir, aussi vite que possible, en suivant la route pour ne pas se perdre.
Ils n’étaient plus que trois, abandonnés à un monde hostile, réduit à l’état de fourmis au milieu d’une immensité désertique, marchant vers une destination hypothétique.
     Et s’il n’y a personne ? S’il n’y a rien ici ?
     On va forcément trouver quelque chose, à un moment. On nous a tiré dessus, c’est donc qu’il y a quelqu’un… et  cette route n’est pas apparue toute seule, quelqu’un l’a forcément construite.
Daisy Taylor parlait surtout pour se rassurer, le silence environnant l’angoissait : pas un cri d’animal, pas un souffle de vent, rien que le mutisme d’un désert ocre et terne, comme délavé, comme si une puissante force avait aspirée la vie de chaque parcelle de terrain avant de continuer son festin sur une autre planète.
     Peut-être que c’était des machines, peut-être qu’il y avait de la vie à une époque mais qu’aujourd’hui…
     Arrête ça !!
     Oh, on tutoie ses subalternes maintenant Commandant Adams.
     S’il te plait Daisy, on se connait depuis qu’on a fait notre service ensemble, sur Terre. Arrête de jouer à ça, j’essaie juste de poursuivre la seule solution dont on dispose. T’aurais préféré que je fasse quoi ? Que je nous fasse attendre sagement près du vaisseau ? On nous tirait dessus !!
     On avait des armes, on aurait pu riposter, plutôt que de nous enfuir comme des lâches.
     On ne savait pas d’où ça venait…
     EH !!!!!!
La voix grave et puissante de Barett s’était élevée comme un coup de tonnerre pour mettre fin à la discussion, son physique imposant achevait de convaincre les deux protagonistes de continuer. Le lieutenant Barett était une force tranquille qui n’avait pas encore vraiment prononcé un seul mot depuis leur périple, il se sentait plus à l’aise dans l’observation puis l’action.
     Taylor n’a pas totalement faux : qui nous dit qu’il y a encore de la vie sur cette planète ? Et même s’il y en a, qui nous dit que nous ne sommes pas tombés dans un coin désolé. On pourrait marcher le long de cette route pendant des jours sans rien trouver…et nos rations ne sont pas éternelles. On aurait dû essayer de capturer l’un de nos assaillant, chercher à obtenir des informations…
     Vous continuez à vous préoccuper d’un évènement survenu il y a des jours alors que je cherche des solutions immédiates.
     On ne peut pas continuer à avancer éternellement, il faut qu’on se repose, au moins juste quelques heures, ajouta Taylor.
Jeb Adams chercha un argument supplémentaire pour les dissuader de se relâcher mais ses propres jambes commençait à le trahir : lui-même commençait à ressentir les premiers effets de la fatigue et il devait se rendre à l’évidence.
     D’accord, dès qu’on aura trouvé un endroit correct pour s’abriter, on fera une pause, puis on avisera ensemble de la suite du plan.
 Le petit groupe reprit la route. Devant comme derrière, le ruban d’asphalte s’étendait  aussi loin que leur regard pouvait se poser, toujours en une ligne droite parfaire tracé par quelque démon mathématicien, sans aucune fissures, ni aspérités. De chaque côté les bordait une mer de sable uniforme que le soleil pale et de plus en plus voilé ne parvenait pas à faire briller. Au loin, tout au loin, ils leur semblaient apercevoir de vagues formes onduler, peut-être des montagnes mais ils ne pouvaient en être vraiment certains, et tout ça paraissait si loin, trop loin.
Des profondeurs du goudron semblait s’échapper une brume, s’élevant dans l’air comme de la vapeur et contaminant peu à peu l’environnement : Daisy Taylor remonta la fermeture de sa veste lorsqu’un frisson parcourut sa peau, la température chutait, doucement.