THE
ZERO GAME
CIRCUS
RAMPAGE
Sur la
vidéo de surveillance, Numéro 1, dont le visage était impossible à reconnaître,
affichait très clairement son intérêt pour les singes qu’il venait d’abattre
froidement sous le chapiteau. Son silencieux à la main, il se penchait sur le
premier corps, le dépouillait d’un objet particulier. Et recommençait avec le
second. Un par un ils étaient tombés, tétanisés devant son entrée impromptue,
théâtrale. Et de belles giclées de sang, jaillissant des corps comme des jets
d’eau puissants, arrosèrent le sol où se produisaient les représentations. Ils
se sont écroulés comme des marionnettes aux fils violemment sectionnés, avec de
la terreur dans leurs grands yeux exorbités, et une brûlure à l’endroit où les
balles les avaient traversés. Seulement après avoir regardé sur son portable,
Numéro 1 a fait le tour des corps encore chaud, et leur a ôté à chacun leur
masque de singe, pour trouver Numéro 16, qui était le troisième abattu, le
troisième malchanceux à être tombé, la gorge et la carotide ouverte, laissant
le sang se faufiler comme une rivière folle dans son œsophage et sa trachée,
remplir ses poumons, ne permettant plus à son cerveau d’être suffisamment
irrigué par la même occasion. Numéro 1 fût contraint de lui enlever tout son
déguisement de macaque. A l’aide d’une lame qu’il gardait sur lui et qu’il
replia rapidement pour la remettre dans la poche intérieure de sa veste. Il
trouva un revolver d’un petit calibre dans les sous-vêtements de 16. A force de
mener la belle vie, il s’était laissé aller pensa Numéro 1 en souriant. Il
trouva le tatouage de sa victime à l’intérieur de sa cuisse droite. Un numéro
16 très petit mais néanmoins bien visible à l’œil nu.
- Et
alors vous me dites que vous êtes ? Numéro combien ?
- Je
vous l’ai déjà dit Inspecteur G, je suis 42. Regardez bien mon poignet.
42 montra son poignet droit à l’Inspecteur G, et regarda
encore une fois l’écran, le poignet levé, le poing fermé, le coude posé sur la
table. Son tatouage, 42 l’avait choisi à cet endroit. Dans des sachets
plastiques mis sous scellés, disposés sur la table, les masques de singe
portaient encore leurs traces de sang. Mais il avait coagulé, noirci, il était
marron foncé. Il n’était plus visuellement aussi choquant que du sang frais
sortant d’une blessure. Parfois, le sang sortait très foncé alors que la
victime – le numéro – était encore vivante. Cela dépendait des corps, de la
biologie de l’individu, de sa santé générale, estimait 42, qui n’était pas
médecin.
- Je ne suis pas médecin, je ne peux pas vous dire. 42
apprécia son reflet dans le moniteur d’un certain âge, lorsque l’image
disparut. Il ressemblait à un clochard, sans attaches sociales particulières
visibles dans son apparence. Il frémit en pensant à Numéro 1 abattant ces
quatre individus dans le cirque. Son intention pure, celle d’un prédateur sur
sa proie. Un sang-froid authentiquement démoniaque.
- Soit répondit Louis, le second Inspecteur, plus jeune,
français, brun et élancé, avec cette fraîcheur et cette blancheur de peau un
peu ridicules. Vous n’êtes pas grand-chose à part un vagabond, c’est
exact ? Il feuilletait un dossier, debout, le dos contre le mur, les
manches de sa chemise retroussées, d’un air semi-investi, semi-attentif aux
paroles de 42. Son arme de service accrochée à sa ceinture, arme que convoitait
énormément 42, sachant qu’il n’était pas simplement menotté, mais également
rattaché à la table fixée au sol par une chaine comme cela se faisait dans
cette juridiction. Et maintenant qu’il avait vu le massacre du cirque, cela le
préoccupait beaucoup.
A
PROPOS DE NUMERO 11
Elle était tombée sur cette photo par hasard. Elle avait
alors 21 ans, elle était blonde à cette époque, et n’avait pas encore son
tatouage « 11 » gravé sur son cuir chevelu au sommet de son crâne. De
temps en temps, un léger psoriasis la
démangeait à cet endroit. Il apparaissait au printemps, persistait malgré les
traitements, et s’en disparaissait, de lui-même, au cours de l’été. Aujourd’hui
il était là, caché par son épaisse chevelure devenue poivre et sel, et le
numéro était désormais recouvert de tâches rougeâtres non purulentes. Elle
avait beaucoup changé de couleur de cheveux par le passé. Ils lui avaient
appris qu’elle avait plus de chances de survivre si elle parvenait à se
métamorphoser régulièrement. Les hommes dans le jeu le faisaient également à
leurs façons : style vestimentaire, coupe de cheveux, attitude, on leur
avait conseillé à tous de prendre des cours de comédie, pourquoi pas de jouer
quelques rôles au cinéma, de se lancer dans le théâtre ou d’apparaître à la
télévision. Mais toujours opter pour des rôles secondaires, qui permettaient de
ne pas trop s’afficher. De se cacher à la vue de tous en quelque sorte. Ne pas
s’afficher exagérément était la clé de la plupart des numéros survivants, car
ils se reconnaissaient d’un simple regard. Deux regards qui se croisaient, et
toute une histoire commune, demandant aux deux parties de s’entretuer,
s’enclenchait sans qu’ils ne puissent rien y faire. Il courait une rumeur selon
laquelle il était possible pour un Numéro préprogrammé de résister à sa pulsion
meurtrière dès lors que celle-ci était activée par la rencontre d’un autre
numéro. Numéro 11 avait à son actif la mort de 14 autres numéros, dont 601 (son
premier), 63, 370, 85, 1198… Les autres, elles ne se souvenaient même pas de
leurs visages. Elle n’avait même pas eu le temps de les voir pour certains. Pour
601, c’était gravé dans sa mémoire. Elle avait pris le thé avec sa femme,
prétextant être témoin de Jéhovah pour entrer dans leur agréable petite maison
cossue. La femme de 601 s’était écroulée face la première dans un coussin de
son canapé, la gorge ouverte très rapidement, d’un geste qui avait paru à Numéro
11 d’une affolante banalité. Comme si elle remettait une manche ou tirait un
rideau. Son acte n’a pas accéléré sa pulsation cardiaque alors qu’elle voyait
le sang imbiber le canapé et la moquette. 601 était rentré ce soir-là pour
trouver la maison plongée dans le noir. C’est en cherchant les fusibles dans la
cave qu’il sentit une douleur vive au bas du dos. Numéro 11 avait appris tout
ce qu’il y avait à apprendre des lames et des armes tranchantes.
Dans la buanderie, elle voyait par la fenêtre son fils de
16 ans qui nettoyait la piscine avec une épuisette à l’extérieur. Elle sourit
car elle se voyait elle à son âge à travers lui, lorsqu’elle était adolescente.
Sur la photo elle souriait comme elle était en train de le faire avec quelques
rides et quelques meurtres en plus, et toute cette époque, toute cette
innocence dans ce passé si lointain et si proche en même temps semblait s’être
déroulée dans un autre univers. Elle avait régulièrement la sensation d’un
dédoublement. Ce n’était pas agréable, mais c’était sa réalité.
Elle retourna dans la cuisine pour poursuivre son
repassage en regardant les informations sur la télévision, un écran plat
tactile installé par son mari dont le corps gisait dans sa voiture, à quelques
kilomètres de là, dans le parking souterrain de son lieu de travail, une grande
tour noire qui ressemblait à un mur de briques. Il gisait place conducteur,
mort, une balle tirée dans son œil gauche, à bout portant.
INSPECTEUR
G
Il avait certes grossi depuis Noël dernier se dit-il en
se tâtant vaguement le ventre, espérant que personne ne remarque qu’il était en
train de penser à sa forme. Quelque chose ne collait pas dans cette affaire de
cirque. Alors il s’arrêta, pour regarder à distance le chapiteau. Le tireur
avait pris d’incroyables risques, calculés cependant. L’inspecteur G en était
le premier étonné. Il savait que l’individu en question était d’une assurance
et d’une arrogance folles. En pleine journée, en pleine répétition, abattre les
faux macaques… Sans que personne ne le voit entrer ni sortir. Il savait
cependant qu’il était filmé et il n’a pas détruit la vidéo. Ou alors c’était un
idiot et il ne savait pas. Impossible qu’il soit un idiot, se reprit
l’inspecteur, en toussotant. Il se répéta à lui-même comme une
incantation : « d’une assurance et d’une arrogance folles ».
- Les macaques répétaient tous les jours à cette heure
précise ?
- Les hommes déguisés en macaques vous voulez dire, le
repris Louis, son jeune coéquipier avec cet air qui semblait vouloir être, quel
qu’en soit le prix, au service de son mentor.
- Oui. Les hommes déguisés en singe. Le vagabond a
forcément vu quelque chose.
- On ne dirait pas que c’est lui dans la vidéo… C’est
difficile à dire, il va falloir travailler cela.
Ils entrèrent sous le chapiteau, déjà encerclé de bandes
jaunes, et de flics surveillants la scène comme les gardiens d’un temple
mystique. Les corps étaient encore en l’état étendus par terre, chacun dans
leur flaque de sang. 3 corps qui ressemblaient à de grands chimpanzés, le 4
entièrement déshabillés, le déguisement soigneusement découpé. Ils se faisaient
mitrailler dans une seconde vague par des photographes concentrés. Cette fois
les éclairs n’étaient pas mortels. Presque chauds, dit un policier qui semblait
enthousiaste, vue la notoriété locale des victimes.
Louis vit le regard de l’inspecteur G se durcir. Ou plus
exactement s’assombrir, comme s’il se doutait que cela ne serait pas évident de
retrouver l’auteur de ce massacre, et encore moins de comprendre son réel motif.
- Il a pris quelques objets, et un morceau de peau.
Après quelques secondes, Inspecteur G demanda en
regardant les corps étendus si le morceau de peau prélevé possédait une marque
quelconque, comme un tatouage. Des agents s’apprêtaient déjà à enlever les
masques et les mettre sous scellés dans des sachets plastiques correctement
fermés.
- Si oui, il faudra regarder les marques de ce vagabond
interpellé, dit-il. Il y a peut-être corrélation. Peut-être pas, que quelqu’un
s’y mette avant que je ne vérifie par moi-même.
G considéra alors qu’il avait vraiment pris trop de poids
ces derniers temps. Ce n’était pas bon pour sa santé, lui qui avait vaincu le
cancer quelques années auparavant.
Numéro 1 avait à son actif plusieurs centaines de morts,
d’autres numéros qui avaient croisé sa route et s’étaient éteint à tout jamais.
Dans sa chambre d’hôtel, tout était rouge, les draps, les moquettes, les
tapisseries, c’était le thème de l’hôtel entier et il n’aimait pas ça. Il jeta
sa cagoule noire carrée sur le lit. Il avait arrêté de compter à partir de 500
victimes. Depuis ses vingt et un ans qu’il avait commencé, et il n’avait fait
que ça, courir après eux, pour ne pas qu’ils le trouvent en premier. Ils lui
avaient dit : ce seront toi, ou eux. Ceux qui lui avaient fait ce tatouage.
Numéro 1. Peut-être le tout premier. Numéro 2 avait été facile à abattre,
Numéro 3 avait supplié à genoux, Numéro 4 s’était caché pendant quelques mois
au Canada, à chasser le caribou. Numéro 1 se demandait parfois s’il existait un
Numéro 0. Personne ne savait vraiment.
Il possédait un corps musclé, il entretenait cette forme
exemplaire autant pour son propre plaisir que pour mieux parer les mano a mano
éventuels. Et ils furent nombreux, même s’il préférait de toute façon utiliser
des armes à feu et tuer ses victimes à bonne distance. Mais rien ne disait à
l’avance comment les affrontements tourneraient. Il y avait une constante dans
son esprit : tous et toutes ils les voyaient comme des proies à broyer et
à consommer. Ils n’étaient rien d’autre. Avant il tenait même des carnets très
précis des meurtres qu’il commettait. Avec des pourcentages sur certains
critères, comme le courage de sa victime face à son arme à feu, ou la lâcheté
dont elle avait fait preuve, comme Numéro 4, 571, ou même 87. Numéro 1 se
dévêtit dans sa salle de bains, en s’appuyant sur le rebord du lavabo il se
regarda longuement, méticuleusement dans le miroir. Il trouva un point rouge
sous son globe oculaire droit. Une goutte de sang s’était introduite par le
trou pour son œil droit. Il sourit et gratta sa barbe qu’il eut envie de raser,
alors que le jour précédent il la trouvait très confortable.
G en s’asseyant dans sa voiture aux côtés de son jeune
coéquipier considéra un instant ces enfants curieux depuis la route qui regardaient
les policiers aller et venir dans la zone du cirque. Il remarqua ce petit
garçon qui cachait à peine le fait qu’il lui manquait la main droite et qu’à la
place se trouvait un moignon qu’il avait trempé dans ce qui ressemblait à de la
peinture jaune.
DANS
LA TETE
Le fils de Numéro 11 retourna dans sa chambre et s’assit
à son bureau face à son ordinateur portable. Il remit son casque rouge sur ses
oreilles et recommença la partie de son jeu en réseau. Ce fût peut-être la plus
grosse erreur de son existence car de son placard, juste derrière lui, sortit
doucement et prudemment Numéro 1, entièrement en noir, avec une cagoule carrée
sur la tête et une cible rouge dessinée sur son torse. Il tenait une
kalachnikov contre sa cuisse. Doucement et prudemment, il avançait vers l’adolescent
qui, par chance, pu apercevoir lors d’une image sombre fugace sur son écran
l’ombre menaçante de Numéro 1 derrière lui, brandissant quelque chose de blanc
et familier. Cette chance, ce fut celle de voir la mort arriver quelques
secondes avant qu’elle ne frappe. Il se retourna, surpris et une seule rafale à
travers un oreiller lui transperça et déchira la gorge ainsi que le haut de la
poitrine, le sang éclaboussant son ordinateur, son bureau et le sol. Il
s’écroula par terre tandis que les plumes de l’oreiller volaient dans tous les
sens. Par jeu, Numéro 1 vida le reste de l’oreiller en le secouant dans tous
les sens, comme un enfant en pleine crise d’hyperactivité. Sous sa cagoule, il
passa sa langue sur lèvres, la serra entre ses dents, content de ce qu’il
venait de réaliser.
Numéro 11 rentrait de la buanderie. Elle retraversa le
jardin, entra dans la maison, vide de toute pensée, de toute émotion. Elle se
dirigea vers l’escalier et arrivée au sommet, la porte de la chambre de son
fils unique qui lui faisait face s’ouvrit violemment. Elle eût le temps d’une
seconde, qui sembla durer une véritable éternité, pour voir Numéro 1 tenir à
deux mains le corps pantelant de l’adolescent, la gorge ouverte et le sang
coulant par vague sur son torse sur lequel était collées des plumes. Elle se
demanda d’où elles pouvaient bien venir. Derrière eux, dans la pièce, toutes
ces plumes d’oreiller volaient dans tous les sens. Comme des cotillons dans une
fête. Avec une grande brutalité, Numéro 1 jeta le corps sans vie sur Numéro 11
et elle ne put qu’aller dans le mouvement de la chute, avec le poids de son
fils sur elle. L’arrivée en bas des escaliers lui brisa les reins et la douleur
frappa fort, elle hurla tout en repoussant le corps ensanglanté de l’adolescent
sur le côté.
Numéro 1 descendit les marches des escaliers de manière
théâtrale, en reprenant son arme à bout de bras.
- C’est l’heure, dit-il. Enfin ton heure.
Il sifflait l’air d’une marche funèbre, jubilait de voir
11 au sol à côté de son fils mort.
Numéro 11 pensa à ses nombreuses lames disséminées
partout dans la maison mais sa jambe gauche était manifestement cassée, et son
dos la tiraillait tellement qu’elle avait la sensation d’aiguilles aiguisées
entre les os et la chair. Elle ne pouvait que s’écarter du cadavre de son fils,
encore chaud, qui reposait sur le dos, son regard mort semblant se poser dans
un vide absolu. Recouvert de plumes collées à ses blessures et son sang.
- Regarde, c’est un ange dit Numéro 1. Ton mari aussi
dans sa voiture sur son lieu de travail. En réalité il est borgne à présent.
J’ai tiré dans son œil. Si seulement tu avais pu voir le résultat. Il n’a pas
compris ce qui lui arrivait. Tu me diras, quelle différence avec 99% du reste
de sa misérable existence ?
- Achève-donc ce que tu es venu faire, dit Numéro 11. Cesse-donc
tes sarcasmes et enlève cette cagoule et ce déguisement. Ce n’est plus l’époque
du Zodiaque.
- Pourtant je pensais que c’était approprié de te rendre
visite dans cette tenue. Etant donné que tu aurais beaucoup à dire sur lui, ses
amis et sur nous tous. Mais le passé c’est le passé… Maintenant, ta marque,
elle est toujours sur ton crâne ? Au fait, tu souhaites que je t’abatte
comme ton fils, dans la gorge et le thorax ou préfèrerais-tu une rafale dans la
tête ?
- Dans la tête, ça m’ira très bien… L’attente
était insupportable. Elle voulait en finir à présent qu’elle avait accepté sa
défaite. Sa famille terminée, elle n’avait aucune raison de vouloir une
quelconque revanche. Elle n’y aurait rien gagné.
Elle avait abdiquée et attendait,
sur le côté, ne regardant pas son fils mort allongé à côté d’elle. Il n’était
pas devenu un ange. Il était mort, les anges ne sont pas morts.
Sans rien ajouter de plus, il tira une rafale dans sa
poitrine. Lui refusant ce qu’elle venait de lui demander. Une goutte de sang
passa par le trou de l’œil droit de sa cagoule. Numéro 11 ne se rendit compte
de rien, ne sentit rien d’autre qu’une brûlure intense à l’intérieur. Numéro 1 se
baissa avec sa lame, pour faire son business. Sifflotant Billie Jean, parce que ça lui était venu comme ça, et qu’il en
avait été amusé. Dans ses cheveux, alors qu’elle agonisait, il découpa le
morceau de cuir chevelu tatoué, du sang coulait de sa bouche. Seul son numéro
comptait, ce précieux.
ENTRETIEN
AVEC 42
42 était dans sa cellule et une énième fois, ils
l’emmenèrent en salle d’interrogation. L’inspecteur G et son coéquipier, Louis
discutaient dans le couloir avec un homme en costume gris, fraîchement rasé, et
compris qu’il s’agissait probablement d’un agent d’un service quelconque. Ce
dernier entra seul dans la pièce et ferma la porte derrière lui. Il s’assit en
face de 42 et lui demanda comment il allait.
- J’ai connu mieux. On m’accuse d’avoir tué ces hommes
depuis 24 heures, sans motif, et j’ai envie de sortir. Je dois sortir. Ma vie
est en danger.
- Ces singes ? Demanda l’agent. Et pourquoi votre
vie est-elle en danger ? A cause de votre histoire grotesque de
conspiration ? Vous ne pouvez même pas nous expliquer quelle est cette
organisation qui fabrique ces tueurs à gages. C’est un drôle de jeu auquel vous
jouez je ne sais pas si vous en avez conscience. Des illuminés de…
- Je suis très sérieux… Mais vous ne pouvez pas
comprendre… Vous vivez dans le monde qui vous renvoie à une case quand ce n’est
pas une autre. Et je l’ai déjà dit aux inspecteurs, ils n’attraperont pas le
tueur. Il est bien trop malin. Il peut être n’importe qui.
- Oui c’est dans votre dossier. Donc ils s’entretuent
pour quelle raison ?
- Pour quelle raison êtes-vous en train de respirer là,
maintenant, tout de suite, rétorqua 42, avec un regard halluciné et effrayé. Il
n’y a pas de raison. La raison elle n’est pas dite au départ. On ne m’a jamais
dit pourquoi. Ils m’ont dit de le faire. Je crois qu’ils s’amusent.
42 qui s’était penché en avant, attaché à la table fixée
au sol par une chaîne se remit correctement sur sa chaise. Il fronça les
sourcils et commença à se sentir mal à l’aise.
L’agent sourit en regardant le dossier. Il le referma, posément. Lorsqu’il releva la
tête, son regard avait changé. Son visage s’était détendu. Comme un acteur
changeant immédiatement de rôle. C’était désormais un chasseur que 42 avait en
face de lui, plus du tout un homme d’administration sans autre relief autre que
le pathétique de son savoir arbitraire.
- C’est bien de te découvrir sans ton masque dit 42
essayant de contrôler sa peur. Mais le bruit de la chaîne avait trahi une
crispation. Il pouvait tenter de l’étrangler avec, là, tout de suite.
- Je ne peux rien faire pour le moment dit Numéro 1 en
jubilant. Et m’étrangler avec cette chaîne me forcerait à vous tuer maintenant
dit-il en murmurant, chose que je n’ai pas envie de faire. Je ne pense pas que
je pourrais sortir d’ici moi-même si je tentais… de vous faire cracher la
vérité.
- Il me reste quoi comme option, demanda 42 d’une voix
calme. Plaider coupable pour t’éviter comme la peste ? Te tenir le
plus possible à distance ? Ne peut-on pas s’éviter pour ce qui nous reste
à vivre ?
Numéro 1 répondait sans utiliser sa voix. Il savait que
42 lirait sur ses lèvres : « Même en prison je saurais t’atteindre. J’ai
dit bonjour à ton amie Numéro 11 aujourd’hui et elle a passé une sale
journée. Donc je t’aurais une autre fois, en attendant, pense au sursis que je
t’offre. C’est un cadeau. Profite-en. »
- Ou moi je t’aurais…
Numéro 1 s’éclaffa en se levant : « Toujours cet
irrécupérable doux rêveur…».
777 arriva devant le cimetière en moto. Elle portait une
combinaison et un casque entièrement noirs, recouverts de larges bandes jaunes
sur les côtés. Elle était arrivée en ville suite au massacre du cirque. Elle
prit le bouquet de fleurs et se mit à la recherche d’une tombe. Tout en gardant
son casque. Elle avançait dans les allées, regardait les noms sur les pierres,
les dates inscrites. 777 semblait confuse.
Au même instant, l’inspecteur G rentrait pour voir ses
jumelles, adolescentes, faisant leur devoir à la table du salon, avec de grands
verres de jus d’orange posés entre leurs ordinateurs. Elles ne firent même pas
attention à lui tellement elles étaient absorbées par leur travail. Cette
vision lui réchauffa le cœur.
777 trouva la tombe sur laquelle deux initiales
apparaissaient « R.J. 1996 1963 ». Elle sortit une petite pelle
rétractable de son bouquet de fleurs, qu’elle jeta par terre, enleva son casque
pour commencer à frapper la pierre tombale avec sur les côtés. Des vieilles
femmes regardaient, ahuries, cette jeune femme blonde tenter de démonter une
tombe à coup de casque de moto et utilisant sa pelle ensuite pour dégager des
morceaux brisés et de la terre.
Après le départ du mystérieux agent, 42 avait avoué être
le meurtrier des 4 singes, ou plus exactement des 4 hommes déguisés en singe. Dans
sa cellule, il pensait au visage de Numéro 1, focalisait sur ce dernier pour ne
pas l’oublier. Il ne prêtait pas attention aux deux ivrognes qui cuvaient dans
la cellule à côté. Contrairement aux autres, 42 ne jouait pas au caméléon. Il
savait qu’il contrôlait ses émotions mais la peur était présente en toile de
fond. Une antique et sourde frayeur, qu’il n’avait pas ressentie depuis la
réapparition de Numéro 1, qui avait déjà manqué de l’avoir par deux fois, la
seconde avait failli se terminer dans l’écroulement des tours de New York et il
n’avait pas pu voir son visage dans toute cette poussière mais se souvenait
encore de la brûlure lorsque la balle avait traversé son avant-bras gauche. 42
avait plusieurs fois envisagé le suicide, mais il n’avait jamais pu s’y
résoudre, arrivé à cette limite, flottante, où la mort semble posséder plus de
goût que la vie elle-même, semble être un terrain d’exploration plus dense que
ce monde de matière brute. Oui, il avait refusé de jouer des personnalités, des
rôles, pour éviter d’être repéré plus facilement. Il avait pris ce risque, ce
parti-pris de ne pas être commandé par la peur, il avait pris le risque qu’un
Numéro quelconque ne le trouve et ne l’abatte en pleine rue d’une balle dans la tête ou ne le poignarde
dans les toilettes infectes d’une gare. 42 avait toujours été lui-même, et cela
n’avait pourtant jamais fait grand sens non plus. Ils avaient été très clairs dans leurs explications et leurs
règles : changer d’apparence le plus souvent possible augmentait de
manière significative ses chances de survie. Un océan de perspectives et de
possibilités pour éviter de se faire tuer.
A
suivre
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