mercredi 1 octobre 2014

Vibrato [Corvis]

Il était une fois, dans un quartier discret d’une métropole anonyme, une jeune femme réservée qui entre ses cuisses épuisait ses espoirs et ses doigts.
Sous ses draps noyés de sueur salée et de cyprine sucrée, elle s’efforçait de déverrouiller le loquet qui retenait son plaisir.
Suzanne était son nom, mais devant la sonorité désuète d’un tel patronyme, sa famille, ses amis, ses collègues de la bibliothèque, tous l’appelaient Suzie, et personne ne connaissait son épineux problème.

Suzie avait beau être introvertie, elle avait eu assez d’amants et de petits amis pour se faire une idée des paramètres.
Elle avait expérimenté les plaisirs solitaires avec les copines à l’âge des poussées d’hormones et des excès de sébum.
Il y a peu, elle avait écarté l’idée d’une homosexualité refoulée.
Elle avait beaucoup lu, s’était énormément renseigné sur la sexualité féminine, avait appris l’existence de ses glandes de Skene ; elle avait découvert que toutes les femmes éjaculaient au paroxysme de la jouissance, qu’on ne pouvait pas être pathologiquement clitoridienne ou vaginale, et que tout individu, même mâle, était biologiquement capable de ressentir le plaisir anal. Les seuls blocages résidaient dans la tête, et la qualité du partenaire.
Elle était passée de la dépression à la colère, de l’angoisse à la résignation.


Elle avait connu une sexualité complète, en un sens épanouie, entre les bras de garçons fébriles et sous ses propres caresses, et pourtant ses ébats restaient désespérément dénués d’orgasmes.

Elle avait des sensations malgré cela bien sûr, et remerciait chaque jour la providence que les femmes, au contraire des hommes, puissent être satisfaites sans aller au bout de leur plaisir.
Mais impossible de mettre la main sur ce climax tant espéré ; et tant prôné par ses amies qu’elle devait feindre de le connaître sur le bout des doigts pour ne pas perdre la face.

À 25 ans, Suzie se demandait si l’annonce précoce de sa stérilité, qui avait mis fin au même moment à ses velléités initiales de maternité et à son couple, n’avait pas également mis inconsciemment un frein psychologique à sa capacité à jouir. Ou si elle n’était pas tout simplement tombée jusqu’ici que sur des incapables pleins de bonnes intentions.
Mais ce délicat souci perdurait depuis son adolescence, et son inaptitude à se faire grimper d’elle-même au rideau lui faisait aujourd’hui penser que personne n’était responsable, si ce n’était elle.

Timide jusqu’à la honte, elle finit pourtant par en parler à travers les voiles de l’Internet. Mise en confiance par le relatif anonymat que lui offrait le web, elle se confia sur un forum médical, en sachant pertinemment qu’il faudrait faire le tri entre les vrais conseils et les affabulations péremptoires.
Au milieu des propositions indécentes et des piques pseudo-humoristiques, elle trouva le témoignage d’Alice_in_Wonderland83 qui disait ne plus jurer que par les jouets sexuels. Si possible électriques. Elle précisait avoir toujours eu du mal à trouver son bonheur autour des cuisses d’un étalon, et une sacrée flemme à la seule idée de s’échiner manuellement jusqu’aux limites de l’irritation. La découverte des godemichets vibrants et autres engins de plaisir avait été pour elle une révélation.

Eurêka ! s’écria Suzie devant son écran en titillant machinalement son clitoris sans plus d’effet qu’une visite chez un gynécologue septuagénaire.
Pourquoi n’y avait-elle pas pensé plus tôt… Un tout nouveau monde s’ouvrait à elle, et elle décida de grimper sur sa liporne pour pénétrer le royaume des sex-toys.
Pendant plusieurs mois, elle écuma tout ce que la toile faisait de vibromasseurs, en prenant grand soin de scrupuleusement étudier les articles et avis de consommatrices à leur sujet. Boule vibrante, canard en plastique, modèle standard, gode réaliste en silicone, modèle Magnum à trois vitesses, jusqu’au célèbre Rabbit, toute la panoplie passa entre ses lèvres avec autant d’excitation que d’appréhension. Et si elle ressentit bien un plaisir plus consistant que lors de ses précédentes tentatives, aussi bien solitaires que partagées, elle s’arrêtait généralement frustrée après plusieurs dizaines de minutes, de peur que sa peau lâche avant les piles.

L’intention était là, elle était proche du but, mais si les vibrations sur les terminaisons nerveuses de son clitoris, et à l’intérieur de son vagin, étaient effectivement source de grandes vagues de plaisir, la force et la vitesse des stimulations restaient insuffisantes pour l’amener jusqu’à l’orgasme. Même le Magnum 3 vitesses, s’il dépassait en largeur et profondeur tout ce qu’elle avait pu connaître jusque-là, ne parvenait à la faire décoller par pulsations.
Pour Suzie, ce n’est pas la taille qui comptait, mais la vélocité.

Jusqu’à ce matin de septembre dont le froid venteux piquetait déjà les peaux, et faisait pointer les mamelons, ce qui ne déplut pas au facteur quand elle vint réceptionner en pyjama léger le mystérieux colis qu’il lui apportait.
Un petit paquet carré, sans signe distinctif autre que sa propre adresse, qu’elle retournait maintenant en tout sens dans la chaleur de son appartement. Las, elle n’attendait aucune marchandise, et impossible de savoir qui lui avait envoyé ce colis.
Elle termina donc de se réveiller dans un grand bâillement, et s’assit dans son canapé d’angle pour avoir une réponse à ses interrogations.
Derrière le banal carton, elle trouva une boite à couvercle fuchsia, comme faite pour y ranger des chaussures d’enfant, ainsi qu’un mot sur un post-it, qui disait simplement :

« De la part d’un ami. Bonne journée. »

Suivi d’un smiley approximatif qui clignait de l’œil.
Intriguée, elle ouvrit la boîte et tomba nez à nez avec un vibromasseur d’un rose étincelant, et d’une forme inhabituelle. S’il était d’une taille moyenne, voire plus réduite que les modèles usuels (il ne devait pas mesurer plus de 10 centimètres), son aspect tubulaire se resserrait, puis s’évasait à son extrémité avant de s’arrondir généreusement, sans pour autant singer la silhouette d’un sexe masculin, lui donnant de petits airs de quille de bowling.
Seulement il y avait aussi les aspérités. On dénombrait tant de picots doux érigés et de branches miniatures sur sa surface, que l’objet avait finalement l’allure d’un cactus indolore taillé dans le silicone.
Elle ne trouva aucun mode d’emploi, aucune indication d’une provenance ou d’un compartiment à piles, seulement un bouton on/off à sa base, accompagné d’un petit curseur de vitesse qui allait de 0 à 100.

Suzie resta plantée là, le gode dans les mains, pendant une bonne minute, les sourcils alternant entre le froncement dubitatif et le haussement étonné. Elle le retourna dans tous les sens sans vraiment chercher un indice en particulier, simplement décontenancée par cet objet dont elle n’avait jamais eu vent malgré ses recherches poussées, envoyé par un (une ?) mystérieux inconnu, et qui n’avait pour seul signe distinctif que son nom, l’Aphrodite 5000, fièrement arboré sur son socle en petits caractères dorés.
Nous étions samedi, la bibliothèque était fermée, Suzie était libre de toute occupation planifiée, et elle passa ainsi toute sa journée à hésiter devant ce vibromasseur sorti de nulle part. Elle n’y avait plus touché depuis le déballage du colis, et il trônait sur sa table basse orgueilleusement dressé vers le plafond comme s’il attendait déjà un réceptacle.
Son salon se trouvant au centre de l’appartement, elle le croisait dès qu’elle passait d’une pièce à l’autre, et le manège était toujours le même. Son entrejambe salivait d’avance et pulsait comme un ventricule, transmettant l’appel instinctif de la chair, puis son cerveau tentait d’éponger ses moiteurs en faisant preuve de raison. Son corps lui susurrait que ce cadeau lui avait forcément été envoyé pour la libérer, et son esprit tempérait l’excitation en arguant que, quand même, c’était un peu louche et qu’il fallait se méfier.
Mais l’offre créant la demande, et l’envie de savoir une excitation plus efficace qu’une cure de guarana, sur les coups de dix-huit heures ses jambes flageolaient et elle en était à sa deuxième culotte de la journée. Aussi décida-t-elle d’en finir et de tenter le coup sur-le-champ.
Après tout elle n’avait rien à perdre si ce n’était vingt minutes improductives de plus.

Elle ferma tous les rideaux, éteignit la lumière, débrancha le téléphone, verrouilla la porte. Elle se barricada comme si elle était sur le point d’ouvrir l’Arche d’Alliance, et se mit en condition dans une ambiance feutrée à peine éclairée par le soleil déclinant de septembre. Elle retira chaussures, chaussettes, pantalon, ses sous-vêtements déjà trempés, et s’assit cul nu sur le canapé, les jambes légèrement écartées face à son futur camarade de jeu. L’excitation mêlée d’appréhension avait enflammé son corps, et son sexe était brûlant au toucher. Elle s’empara de l’Aphrodite 5000 d’une main et pelota vigoureusement son sein gauche de l’autre pour se mettre en condition.
« Allez mon pote, souffla-t-elle en ajustant le curseur de vitesse sur 10, montre-moi ce que tu sais faire. »
Elle plaça le bouton sur ON, et aussitôt l’engin se mit à vibrer furieusement dans sa paume, les différentes aspérités massant déjà sa main avec ferveur. Les picots s’agitaient si vite qu’on n’aurait pu dire si le mouvement était vertical ou horizontal, et les minuscules branches oscillaient en tournant comme des queues de crotale.
À son niveau minimum, ce petit engin tremblait déjà aussi vite et fort que le modèle Magnum en troisième vitesse !
Suzie poussa un gémissement à la seule vue de cette palpitation entre ses doigts, qui lui promettait monts et merveilles. Sans plus attendre elle l’amena vers sa vulve qui se contractait et s’humectait comme une bouche avide, et le posa sur ses lèvres, l’embout arrondi pointé vers le haut, en contact avec son bouton de chair.
Instantanément, les frissons électriques qu’elle avait déjà expérimentés lors de ses essais les plus concluants revinrent s’emparer de son bas-ventre, et se propagèrent en ondes anarchiques dans tout le bassin.
Les jambes de Suzie tremblèrent légèrement, et elle sourit de contentement. Voilà qui était une bonne base.
Alors elle déplaça le curseur sur 20, et le gode comme son plaisir vrombit de plus belle. Ses yeux s’écarquillèrent sous la surprise, et une langue de chaleur lui traversa le pubis de part en part, tétanisant un instant ses membres inférieurs.
Ici commençait la véritable expérience, et l’escalade euphorique qui, cette fois elle en était sûr, l’emmènerait jusqu’au sommet.
Elle passa à la vitesse 30 en se concentrant sur l’extrémité de l’objet, qu’elle enroulait autour de son clitoris et faisait glisser le long du méat jusqu’à la fourchette vulvaire. L’Aphrodite 5000 ressemblait à un animal fiévreux à la recherche d’un trésor enfoui. Les gémissements s’enchaînèrent, et Suzie dut fermer les yeux devant cette sensation nouvelle, ces spasmes délicieux qui se répandaient dans ses cuisses et à travers ses jambes, s’infiltraient dans son ventre jusqu’à sa poitrine. Elle se sentit monter et les gémissements devinrent des cris. Elle augmenta la vitesse une nouvelle fois.

Suzie plaça le curseur sur 40, et dans le sifflement rageur du vibromasseur, pour la première fois de sa vie, elle eut un orgasme. Le choc la plaqua sur le dossier du canapé alors qu’elle se cambrait de plaisir en collant l’objet gesticulant contre son sexe. Elle plissa les paupières, laissa échapper un cri hors de sa bouche entrouverte, et une vague immense la recouvrit. Une explosion extatique dont l’épicentre était son sexe, cette fente béante où s’activait un monstre de plastique.
La sensation brûlante et glacée dura de très longues secondes, revenant sans cesse, rappelant le flux et reflux des bords de mer les jours de tempête. Puis elle se calma comme un feu qui se consume, laissant les braises rougeoyer encore derrière son ventre.

Mais Suzie ne put s’arrêter en si bon chemin. Elle se sentait capable de repartir au charbon et de relancer la machine, curieuse de savoir jusqu’où elle et son partenaire synthétique pourraient aller.
Elle le tortilla entre ses lèvres gonflées pour le faire entrer puis changea encore la vitesse. Et eut un orgasme instantané, si fort qu’elle cria autant de plaisir que de surprise. Elle tremblait de tout son corps et ne savait plus qui en était le responsable, son organisme ou le jouet vibrant dont le feulement se faisait de plus en plus aigu. Elle put atteindre toutes ses zones érogènes, tout ce qu’elle avait lu sur le sujet depuis des mois, ses points G et A, le cul de sac dorsal et ventral, à l’intérieur et à l’extérieur. Elle continua d’augmenter la vitesse et de fouiller son corps à la recherche du bien-être. Les orgasmes se succédèrent l’un après l’autre, chacun semblant surpasser le précédent dans des cris de plaisir continus qui lui feraient plus tard remercier l’insonorisation impeccable de la résidence.
Au niveau 80, elle avait déjà joui six fois.
Au bord de l’épuisement, la sueur dégoulinant de son corps en extase et la poitrine se soulevant par hoquet, elle continuait à enfoncer le sex-toy divin dans son vagin. L’objet palpitait maintenant si rapidement qu’on ne distinguait aucun mouvement, et que son cri suraigu ne pouvait plus incommoder que les chiens du quartier. Le sourire accroché aux oreilles, Suzie continuait d’imprimer le va-et-vient, se consolant de ses années de disette.
Enfin, pour en finir avec les possibilités de l’engin magique, elle l’enfouit au plus profond et monta la vitesse au maximum.
L’orgasme qui s’ensuivit fut sans précédent. Une déflagration atomique. Une supernova d’euphorie qui éclata dans son crâne, dans ses tripes et dans son sexe, fournaise délicieuse qui la dévorait tout entière et n’en finissait pas de brûler. C’était comme être frappé par la foudre si Aphrodite l’avait piquée à Zeus. Les poings serrés, les yeux fermés à s’en écraser les pupilles, elle se laissa emporter par un long hurlement de jouissance en espérant que cette sensation ne s’arrête jamais.

Elle s’arrêta pourtant, calmement, comme autant de voiles successifs qui se posaient sur elle. La peau en feu, Suzie s’épongea le front du revers de la main en jaugeant l’humidité de ses vêtements de l’autre… et constata qu’elle ne tenait plus le vibromasseur, tout en le sentant toujours vibrer.
Affolée, elle se redressa et inspecta rapidement son entrejambe mais, contrairement à la sensation, l’objet avait disparu. Dans un sursaut de terreur, elle se rendit à l’évidence : il avait été aspiré…
Poussé à pleine puissance, il continuait à trembler à l’intérieur de son vagin, recommençant déjà à faire grimper progressivement le plaisir comme du mercure dans un thermomètre.
Suzie était en panique. Elle tenta d’insérer ses doigts, d’attraper l’intrus au passage, dans une manœuvre d’élargissement d’orifice qui n’avait plus rien d’érotique, mais le vibromasseur ne cessait de se déplacer, de fuir vers le fond de la cavité, d’échapper à son emprise hasardeuse, et elle ne se sentait pas vraiment l’étoffe de tenter l’auto fist-fucking à fin médicale.
L’effort était d’autant plus ardu que l’engin continuait de lui faire un effet exponentiel en vibrant sur les parois internes de son anatomie. Son bas-ventre oscillait comme dans un tremblement de terre, et elle sentait, malgré l’affolement, le plaisir fulgurant monter petit à petit.
Elle tenta de pousser fort, à l’aveuglette, dans une parodie d’exercice de Kegel, pour essayer d’expulser le corps étranger. Ce n’eut pour effet qu’un matelas légèrement souillé de matières brunes.
Alors qu’elle se levait pour trouver une solution, l’orgasme frappa à nouveau, implacable, et elle dut se laisser retomber sur le divan, des étoiles dans les yeux, tremblant autant de la sensation que de l’action du gode déchaîné.
Après une quinzaine de secondes, elle put enfin se déplacer, et se précipita vers la cuisine aussi vite que ses jambes flageolantes le lui permettaient. Le plaisir qui faisait trembler ses cuisses et son popotin était aussi intense que déstabilisant, et elle avait du mal à tenir la direction. On aurait cru une épreuve de Fort Boyard. Pourtant, ce n’était pas une clé qu’elle cherchait, mais un ustensile utile à l’extraction du parasite, que cette satanée cuisine américaine devait forcément contenir. Attentive à la clepsydre orgasmique qui se vidait à vitesse grand G, elle fouilla les tiroirs sans grâce, passant rapidement sur les fourchettes, piques à brochette, économes et autres tire-bouchons qui feraient plus de mal qu’autre chose, et finit par tomber sur une pince à beignet.
La forme était parfaite pour attraper l’indésirable, malgré son envergure qui paraissait un poil importante pour sa vulve délicate. Après tout, l’orifice vaginal était censé être extensible, et le sien en avait vu d’autres.
Elle n’eut pas le temps de retourner s’installer dans le canapé. Un nouvel orgasme s’abattit sur elle comme un délicieux coup de massue, et elle s’effondra au sol. Les yeux fixés sur le plafond, les dents serrées, le corps traversé de secousses et le con vibrant comme s’il était animé d’une vie propre, elle se retrouvait dans l’incapacité de contrôler ses mouvements, mimant une caricature involontaire de crise épileptique.
Après cela, elle n’eut plus la force de se lever.
Jouir était fabuleux, mais épuisant, et peu à peu naissait dans un coin de son crâne endolori par le plaisir l’idée terrifiante que tout cela pourrait finir en crise cardiaque. Elle tenta d’extirper l’intrus à même le sol. S’improvisant gynécologue, elle releva la tête et écarta l’entrée de son vagin d’une main pour y faire pénétrer la pince, l’Aphrodite 5000 toujours en activité à l’intérieur.
Le contact froid de l’objet et l’aspect clinique de la manœuvre apaisèrent un instant les velléités stimulantes de l’objet, mais la sensation enivrante revint vite, repoussant ses attaques par des spasmes mouillés qui faisaient gigoter son bassin et l’empêchaient d’atteindre son but. À chaque fois qu’elle pensait l’attraper, le vibromasseur s’échappait en glissant sur les parois lubrifiées. Au quatrième essai, elle abdiqua, et se laissa gésir en étoile de mer en attendant l’orgasme. L’ustensile de cuisine toujours planté dans le minou, elle ressentit une nouvelle fois la détonation sensationnelle qui semblait remplir chaque parcelle de son corps.
Alanguie sur le linoléum, le regard perdu sur le ventilateur de plafond qui n’avait jamais fonctionné, elle était trop épuisée pour avoir peur de la suite. Elle attendait simplement.
C’est quand elle se décida à retirer cette pince disgracieuse de son anatomie que l’engin finit par s’arrêter. D’une seconde à l’autre, elle ne ressentit plus ni le tremblement qui la faisait s’agiter comme une truite au sortir de l’eau, ni le plaisir éreintant sur ses zones érogènes. Il occupait toujours son intimité, mais au moins restait-il inactif.
Elle se releva en chancelant, vidée de toute énergie. Il était presque 19 heures. Le canapé était trempé. Le sol, à l’endroit où elle s’était écroulée, n’était pas dans un meilleur état. Quant à elle, aussi éteinte que l’objet de ses soucis, le visage rouge et les cheveux en bataille, nue sous la ceinture et les vêtements collés à sa poitrine par la sueur abondante, elle faisait piètre figure. Dans un dernier sursaut d’orgueil, elle se déshabilla entièrement, et se laissa tomber dans son lit sans prendre le temps d’une douche.
Trente secondes plus tard, elle dormait à poings fermés.

L’orgasme la réveilla en pleine nuit sans crier gare.
Son compagnon synthétique s’était rallumé, et si elle avait pu prendre ses vibrations pour un rêve érotique, la langue brûlante qui l’arracha à Morphée dans un bref cri de jouissance ne laissait aucun doute : il n’avait rien perdu de sa puissance. Soufflée par l’émotion, bras et jambes écartés dans les ténèbres de la nuit, elle attendit que le mouvement dans son sexe (qui l’avait presque fait chuter du lit à force d’oscillations) cesse enfin à nouveau.
Dimanche ou pas, demain, il lui faudrait prendre une décision. Finir comme Félix Faure ne faisait pas partie de ses projets à court terme.

Le reste de la nuit se déroula sans encombres et elle s’éveilla rassasiée. Son petit rituel du matin était même si normal qu’elle crut le sex-toy définitivement à bout de souffle. Ce n’est que pendant sa douche, qui la décrassait de la sueur accumulée la veille, qu’il se remit furieusement au travail. Il devait s’être déplacé vers le périnée, car ses fesses vibrèrent comme si elles voulaient parler, et allèrent se jeter contre le mur en céramique. En essayant de reprendre le contrôle de son cul, Suzie glissa, tomba en avant, et se retrouva à quatre pattes dans la cabine de douche, le derrière dressé et gigotant. On l’aurait cru quémander sa pitance. Elle attendit, presque avec délice, la lèvre inférieure mordue, que l’orgasme passe et que l’engin s’arrête à nouveau. Décidément, la fréquence aléatoire de ces envolées était aussi grisante que perturbante.

Toute la journée elle hésita à en parler à quelqu’un. Elle passa des heures devant le téléphone, prête à appeler les urgences, l’appareil se rallumant régulièrement pour la faire monter au septième ciel, et à chaque fois la honte le disputait à une certaine réticence à renoncer à ce plaisir. Qui plus est, elle commençait à mieux gérer la sensation. Non qu’elle lui fasse moins d’effet, mais si elle la sentait venir assez longtemps à l’avance, elle pouvait contrôler plus facilement ses mouvements pendant la jouissance et réduire plus ou moins les gestes involontaires.
Elle dut néanmoins rentrer chez elle en rampant après avoir voulu sortir les poubelles, l’orgasme la foudroyant sur le chemin du retour. Le râle au bord des lèvres, elle se félicita d’habiter au rez-de-chaussée, et remercia le hasard qu’aucun voisin n’eût été présent.
Dans l’après-midi, faute de se résoudre à joindre les secours pour une extraction dans les règles de l’art (s’imaginer allongée dans une pièce blanche, les jambes écartées, avec trois internes rigolards essayant de déloger l’objet du délit et au moins autant derrière la vitre teintée, était au-dessus de ses forces), elle écuma les forums spécialisés, prête à chercher une solution dans l’anonymat d’un pseudonyme anodin, style lolitadu75. L’orgasme tapa à la porte à ce moment-là sans qu’elle s’y attende, portant la vibration et la décharge électrique jusque dans ses doigts. Il en résultat un magnifique JGIP, ZRHVGRBR pour toute réponse à l’internaute qui demandait, goguenarde, si elle pouvait lui donner les références de l’objet.

Ne pouvant, persistante timidité oblige, se résigner à en parler à qui que ce soit, Suzie comptabilisait 13 orgasmes quand la nuit se décida à se jeter sur cette partie du monde. Si l’excitation et le choc sensoriel répétés lui avaient encore fait perdre un bon litre d’eau et au moins autant de cyprine (enfin concrètement pas autant, la jeune fille n’étant pas une femme fontaine, mais du moins c’est l’impression qu’il en résultait), elle s’avéra fière d’avoir réussi à contenir la moitié des secousses. Ce qui s’avérait crucial quand la salve arrivait en plein découpage de concombre. L’orgasme était toujours fulgurant et la coupait souvent dans son élan, mais au moins pouvait-elle minimiser l’impact des vibrations sur son corps. Ce qui l’empêchait plus ou moins de ressembler trop souvent à un malade atteint d’un syndrome de la Tourette localisé derrière le pubis.
Satisfaite de ce relatif contrôle, elle décida (aussi parce qu’elle n’avait pas vraiment le choix) de retourner à la bibliothèque le lendemain comme si de rien n’était, l’importun toujours profondément logé dans le vagin.

La nuit se passa sans heurts (même si elle se retrouva au sol au petit matin, emberlificotée dans son édredon) et l’orgasme ne la sortit de ses songes qu’une ou deux fois, sans que cela la gêne outre mesure. Certains se lèvent plusieurs fois par nuit pour aller pisser, Suzie, elle, jouissait.
Quant à sa journée, on peut dire sans exagérer qu’elle se déroula sans encombres. Certes elle faillit provoquer un accident lorsque la sensation foudroyante lui fit écraser le frein de sa Volvo, elle eut un peu de mal à expliquer ce largage de livres accompagné de gémissements qui lui prit en plein inventaire, et encore plus cette vibration intempestive qui projeta son sexe en petits bonds gracieux dans le dos d’un collègue barbu qui n’en demandait pas tant, mais dans l’ensemble, elle s’avéra satisfaite de sa performance, et réussit la plupart du temps à s’éclipser dans les toilettes, ou un placard inoccupé, pour savourer pleinement les fulgurances de son compagnon de silicone.
De plus en plus efficace dans la façon de gérer cette improbable situation, Suzie se résolut à ne rien faire de plus, et à partager son intimité avec cet étranger qui s’avérait de moins en moins inopportun. Après tout, s’il lui manquait le côté affectif des câlins tendres et des regards doux, elle avait à disposition un amant infatigable et performant, qui savait la surprendre, sans présenter aucun des nombreux défauts inhérents à la gent masculine.

Le mois qui suivit se passa, selon des critères propres à la jeune fille, de mieux en mieux. Non seulement elle anticipait de plus en plus facilement les assauts du sex-toy, mais celui-ci changeait régulièrement (et sans raison apparente) de puissance, passant d’une vélocité maximale à un doux massage dans la même journée, et ce sans aucune logique.
Un matin, il s’activa tranquillement entre ses jambes alors qu’elle prenait le bus par souci d’écologie, et lui colla un large sourire sur le visage, non sans la soumettre aux regards décontenancés de son voisin qui avait tout entendu.
« Le vibreur de mon téléphone est un peu fort » dut-elle s’excuser pour donner le change.
Elle gagna aussi l’admiration des clients de la Villa Rouge, la boîte de nuit qu’elle avait investit lors d’une soirée entre collègues, après ce que tout le monde pris pour une session de twerk aussi endiablée qu’improvisée. Le barbu sus-cité en perdit même ses lunettes. Il faut avouer que l’atmosphère enfumée et criarde de la discothèque l’avantagea grandement, attirant le regard des danseurs sur ses ondulations sensuelles au détriment des grands cris de jouissance incontrôlés.

Après quelques mois pourtant, les vibrations du petit être de plastique se firent plus régulièrement virulentes. Il lui arrivait souvent de sentir taper contre son ventre avec plus de douleur que de plaisir, et elle avait de plus en plus de mal à expliquer ces chutes successives sur son lieu de travail, voire lors de ses activités extra-professionnelles, ce qui faillit même lui jouer des tours plutôt dangereux lors d’une randonnée à vélo dans les forêts vosgiennes.
Un jour, le tremblement fut si violent et si mal placé sur son côté droit, qu’elle ressentit une intense douleur dans l’aine, et s’écroula dans les rayons de son supermarché. Personne ne comprenait vraiment comment elle s’était débrouillée, mais elle ne pouvait plus tenir sur ses deux jambes sans hurler sa souffrance. On finit donc par appeler les pompiers, et elle fut emmenée à l’hôpital dans un état semi-comateux, le jouet vibrant ayant eu la bonté de la faire grimper au rideau avant de s’éteindre à nouveau.
Sur place, le verdict fut sans appel : elle s’était fracturé le bassin. L’Aphrodite 5000 avait vibré si fort qu’il lui avait brisé la branche ilio-pubienne et une partie de l’os iliaque droit.
« Comment est-ce arrivé ? demanda le médecin dubitatif.
— Je ne m’en souviens pas, mentit Suzie. Le choc sûrement. »
Puis, les pommettes légèrement empourprées, l’homme ajouta :
« Si je puis me permettre, mademoiselle, nous avons aussi constaté sur la radio que vous aviez un… un corps étranger dans le… bas-ventre. »
Suzie hésita un instant, engourdi par la douleur et l’orgasme qui l’avait suivi pour la calmer. Cette fois, plus besoin d’avoir honte, c’était déjà trop tard, tout l’établissement devait déjà être au courant, et elle avait à disposition le personnel et le matériel nécessaire pour expulser in fine ce locataire intempestif.
Sauf que finalement, avec le recul, et malgré la vilaine farce qu’il venait de lui faire subir, il n’était plus si intempestif que ça, le locataire. Suzie avait fini par s’y habituer, elle le maîtrisait presque, et s’était attachée à ce compagnon de plastique si doué pour la satisfaire. Et si le mal était fait quant à sa réputation auprès de quelques internes, elle n’était toujours pas prête à faire la une de la gazette de tout l’hôpital une fois l’extraction effectuée.
« Oui, je sais, rétorqua-t-elle finalement avec aplomb.
— Il va falloir, heu… vous l’enlever, balbutia son interlocuteur.
— Maintenant ?…
— Non, non, pas dans votre état, ça serait dangereux. Il faudra faire ça une fois l’os ressoudé.
— Parfait, je reprendrai rendez-vous plus tard dans ce cas-là. »

Inutile de dire qu’elle ne remit jamais plus les pieds dans cette clinique. Il était hors de question qu’elle se fasse retirer son parasite rose après tout ce qu’ils avaient vécu.
Qui plus est, la situation était idéale pour elle. Après quelques jours dans une chambre d’hôpital, elle avait été autorisée à rentrer chez elle, et était maintenant en arrêt maladie, contrainte et ravie de rester clouée au lit, l’engin de plaisir toujours actif dans son bénitier pour la faire planer, et de la morphine à portée de main pour les douleurs post – coïtales qui pulsaient dans tout son bassin. Sur ordre du médecin, elle devait passer son temps entre le sommeil, la lecture, et l’orgasme vibrant, dont elle se délectait une dizaine de fois par jour sans avoir à dissimuler sa condition. Son collègue barbu à l’accent fleuri vint bien la visiter une paire de fois, mais toujours entre les séances de stimulation interne, et elle n’eut jamais à justifier aucune vibration ou gémissement imprévu.

Sa hanche finit par guérir, mais la position allongée perpétuelle dut faire glisser le gode vers le haut de son organisme et l’appuyer sur son estomac, car elle expérimentait régulièrement de sérieux maux de ventre. Les orgasmes devenaient plus ponctuels que fréquents, et il n’était pas rare qu’elle sente le poids de son colocataire lui provoquer des nausées. Dieu merci l’Aphrodite 5000 savait encore lui procurer de grands éclairs de plaisir, mais plus le temps passait et plus ils s’accompagnaient de ballonnements. Et s’il lui arrivait encore de hurler de contentement dans le confinement de sa chambre, ses journées étaient régulièrement faites de sensations désagréables et de hauts le cœur. Elle se demanda si, finalement, cette étrange relation n’arrivait pas au point où il était médicalement déconseillé de laisser cette chose dans son organisme. Peut-être avait-elle chopé une infection. Ou tout simplement, son corps finissait-il par rejeter cet inconnu qui n’avait pas sa place ici.
Après quelques semaines à ce régime, le ventre de Suzie était si gonflé qu’elle aurait pu lâcher un pet vaginal d’au moins 15 secondes sans interruption, si la nature l’avait laissée faire. Et ce même au beau milieu d’une réunion de travail, peu lui importait, tant la situation devenait plus incommodante qu’excitante. Il était grand temps d’en finir avec ce duo contre nature, et grand temps que ce supplément de plastique reparte d’où il était venu.

Elle finit par avoir gain de cause un soir de juin, qui embaumait déjà de la chaleur poivrée de l’été. Suzie se prélassait nue dans son canapé d’angle quand elle expérimenta une sorte de contraction hasardeuse près de son pelvis, alors que le petit être vibrant se mettait en marche. Contre toute attente, elle sentit l’objet glisser vers l’entrée de son vagin. Après des mois de joie et de souffrance, cette expérience arrivait à son terme.
Surprise mais ravie, Suzie décida d’aider un peu la manœuvre, et poussa de toutes ses forces comme si elle était sur le trône, et tant pis si elle salissait le divan au passage. Le petit jeu avait assez duré, il était grand temps que les choses retournent à la normale. Qu’elle relâche ce trop plein d’air au prix d’un pet de fouf phénoménal, que ces désagréments stomacaux cessent, et qu’elle éjecte celui qui avait pris ses quartiers dans son ventre. Elle arriverait bien à se débrouiller sans lui.
Prise d’une rage salvatrice, elle serra les poings, crispa la mâchoire, ferma les yeux, et poussa vers la sortie comme si sa vie en dépendait.
Et alors elle sentit que la chose atteignait le bout du tunnel, que l’orifice étroit de sa vulve s’élargissait, et dans un grognement déchirant, elle expulsa ce qui hantait son intimité depuis des mois.
Tout à coup, elle se sentit vidée, soulagée, comme si elle reprenait enfin possession de son propre corps. Elle n’aurait jamais nié le plaisir, et ce sentiment de plénitude ressentis durant tout ce temps, mais, tout de même, ça faisait du bien quand ça s’arrêtait.
Ne restait plus qu’à évacuer le trop plein de gaz dans un bruit aussi drôle que peu glamour.
Pourtant quand elle rouvrit les yeux et en jeta un en direction de son ventre, elle découvrit dans un haussement de sourcil que celui-ci était plat comme au premier jour. Et son regard s’écarquilla de plus belle lorsqu’elle vit ce qui apparaissait entre ses jambes.
Là, à peine sorti de son sexe, encore gluant de substances vaginales, se tenait un jovial petit bonhomme de silicone. Avec un corps rose bonbon, deux bras, deux jambes, et une tête de gland. C’était comme si on avait sculpté Pinocchio dans un godemichet. Les yeux malicieux, un picot plus gros que les autres lui faisant office de nez, il regarda Suzie avec amour, et dans un sourire, il lui lança :

« Maman ! »


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