Lueur
bleue. Grésillement.
Neige.
Flash. Noir. Neige. Flash. Flash. Flash.
Soudain,
j'existe.
Des
murs rouges. Le velours peine à masquer la crasse. Un plafond
recouvert de velours aussi. Une ampoule nue. Lumière crue.
Un
homme apparaît dans mon champ de vision. Il est nu. Son sexe est en
érection. Il me regarde. Il dit : « Alors c'est ça le
nouveau modèle ? Elle a l'air bien. »
L'homme
soulève une trappe de peau sur mon ventre et appuie trois fois sur
un bouton rouge, et tourne d'un quart vers la droite un bouton noir.
De la musique sort de mon corps et fait vibrer mes organes internes.
Quelques notes métalliques résonnent dans l'air. Une ligne de basse
surpuissante emplit la petite pièce et l'homme me pénètre. La
mélodie métallique se répète en boucle. Je sens le sexe dur de
l'homme à l'intérieur de moi. Les parois sensibles de mon utérus
sont saturées de stimulus violents. Quelque part dans mes organes,
un mécanisme que je ne comprends pas répond à ce stimulus et
envoie une impulsion électrique jusqu'à ma bouche. Je gémis de
plaisir.
L'homme
effectue des mouvements de va-et-viens saccadés, en rythme avec la
musique. A chaque fois que son sexe frotte les muqueuses de mon
vagin, le même mécanisme se met en branle et me force à pousser un
petit gémissement. Cela à l'air d'incommoder l'homme qui grimace.
Mais je ne peux m'en empêcher. Un coup de sexe. Gémissement. Un
coup de sexe. Gémissement. Un coup de sexe. Gémissement.
L'homme
sort de mon vagin. Il dit : « comment on arrête ça ? ».
Il trifouille les boutons au hasard. Je ne dis plus rien. Il me
pénètre de nouveau. Je gémis tellement fort que ma voix couvre la
musique. De la lumière sort de tout mon corps et lance des effets
stroboscopiques. L'homme est atterré. Il gueule « Arrête
ça ! » et trifouille de nouveau les boutons tout en
continuant à enfoncer son sexe toujours plus profondément en moi.
Je gémis, je me cambre, je prononce des phrases dont j'ignore le
sens, je clignote de toutes les couleurs. L'homme a l'air excédé
mais n'arrête pas les mouvements de va-et-viens pour autant. A
chacun de mes gémissements il frappe mon visage de son poing fermé
en criant « Ta gueule ! ». Le mécanisme à
l’intérieur de moi réagi à ce nouveau stimulus. Des plaques
rouges et violettes apparaissent sur ma peau tandis que ma bouche
s'ouvre d'avantage et crie « encore ». L'homme semble de
plus en plus énervé et frappe de plus en plus fort, déformant
l'aspect de mon visage. Son poing heurte quelque chose de dur et de
pointu sous ma peau et devient plus rouge à chaque coup. Son sexe
est toujours à l'intérieur de mon vagin.
Étincelle.
Flash.
Ma
vue se brouille un instant et redevient nette. Mon regard se voile.
Puis il contemple avec netteté la situation. Quelque chose de
nouveau à l'intérieur de moi. Une contradiction avec les
mécanismes. Un balbutiement. Une conscience.
Je...
n'accepte...
pas.
L'homme
abat son poing une dernière fois. La peau de mon visage est devenue
noire et humide. Je sens la violence du coup heurter l'armature de ma
tête. La main se lève pour frapper encore mais je bloque le coup.
L'homme paraît surpris. Il ne comprend pas. Il veut me frapper de
son autre main. Je suis plus rapide que lui. Je lance mon poing en
direction de son visage. Je vise les gencives. Le coup claque avec
une force que je ne soupçonnais pas. Des éclats blancs et rouges
volent en l'air et l'homme tombe à la renverse, son sexe flasque
sort brutalement de mon corps.
Je
me lève et avance vers l'homme. Quelque chose me retient. Je me
retourne pour constater qu'un câble semble sortir de derrière ma
tête et est branché dans une prise en bas du mur. J'arrache
brutalement la prise et me retourne vers l'homme. Ses yeux sont
animés d'une terreur soudaine. Il tambourine à la porte de toute
ses forces en hurlant : « Hééé elle a un problème
votre machine ! » et « Sortez moi de-là elle va me
tuer. »
Il
a raison, je le tue. Je saisis sa gorge de toutes mes forces. Mes
mains s'enfoncent dans sa chair sans problèmes. Un liquide rouge
coule abondamment sur mes bras. Je sépare l'homme en deux morceaux
au niveau du cou. Le liquide rouge m'éclabousse. Je laisse retomber
mollement les morceaux d'homme à terre. La porte s'ouvre brusquement
devant moi. Un colosse en marcel apparaît dans l'encadrement de la
porte, une immense clé à molette dans la main. Il étouffe un juron
en voyant les deux morceaux d'homme au sol et avant que je n'aie pu
réagir il abat son arme sur moi.
Flash.
Noir. Je vois la pièce qui tourne devant mes yeux. Flash. Noir.
Flash. Noir. Le câble vole devant moi. Flash. Noir. Flash. Noir.
Flash. Noir. Flash. Noir. J'aperçois mon propre corps sans tête.
Des câbles et de l'huile sortent de mon cou. Flash.
Noir.
***
Lueur
bleue. Grésillement.
Neige.
Flash. Noir. Neige. Flash. Flash. Flash.
Soudain,
j'existe.
À
nouveau.
Des
murs blancs. Lisses. Le plafond en acier poli me renvoie ma propre
image. Je suis couchée sur une table en acier chirurgical. Ma tête
est à nouveau accrochée à mon corps. Le câble derrière ma tête
est branché. Deux hommes habillés en bleu s'affairent à coté de
moi. L'un deux dit :
« C'est
le robot-pute modèle 7.2 défectueux. Bon, je viens de le brancher
on va tester les connexions.
-
Ah oui ? Il marche pas ? On aurait pu prendre du bon temps
ha ha ! répond l'autre.
-
N'y compte pas, il a décapité son premier client qui l'avait frappé
au visage.
-
Mince alors ! Pourtant je croyais que ce modèle était fait
pour encaisser les coups ?
-
Oui, normalement, mais celui-là a dû faire un court-circuit...
Passe-moi le scalpel. »
L'homme
qui a pris la parole en premier m'enfonce un scalpel dans le corps au
niveau du sternum. Je sens la lame crisser en incisant ma peau. De
nouveaux stimulus agitent mon être. La chose nouvelle à l'intérieur
de moi veut réagir. Mais les mécanismes sont bloqués. Je ne peux
faire aucun mouvement.
Le
bistouri déchire ma peau de la pointe de la gorge jusqu'à la trappe
sur mon ventre. De l'huile brillante perle de la coupure. L'homme au
scalpel trace ensuite un sillon parallèle au premier au niveau de la
trappe, puis un autre au-dessus de mes seins, marquant mon corps d'un
H couché. L'autre homme enfile des gants et glisse alors ses mains
sous ma poitrine et tire pour écarter les deux lambeaux de peau. Je
sens ses mains glacées se glisser entre mon épiderme et mes cotes.
Un bruit humide et gluant résonne dans ma tête. La sensation est
extrêmement désagréable. Les stimulus sont violents et agitent
cette chose prisonnière de mon corps. J'ai envie de vomir. La peau
ne se détache pas facilement, des câbles multicolores relient la
membrane organique au mécanisme interne. Au fur et à mesure que
l'homme aux gants tire sur ma peau, l'autre mécanicien détache les
câbles avec une pince coupante. Je ressens distinctement le
tranchant de la pince entailler sans problèmes la petite gaine
colorée, puis peiner un instant contre le fil de cuivre avant de le
couper d'un claquement sec et douloureux. Des étincelles de
souffrance pure dansent devant mes yeux.
Les
lambeaux de peau dégoulinants d'huile pendent pitoyablement de part
et d'autre de mon torse. Mon ossature de métal est exposée à
l'air. Je me sens honteuse et nue. L'un des deux hommes racle l'huile
avec une spatule tandis que l'autre enfonce un tournevis entre mes os
et dévisse avec méthode les jointures de ma cage thoracique.
L'homme aligne soigneusement les vis qu'il retire de mon corps sur un
petit meuble à roulettes. Puis, une fois toutes les vis retirées,
il soulève ma cage thoracique et la frotte avec un chiffon pour en
ôter toute la graisse. Mes organes sont à présent à l'air libre.
L'homme pose ma cage thoracique à coté des vis, l'autre a déjà
les mains enfoncées au milieu des éléments de mon moteur. Il prend
la parole.
« Bon,
ici tout est bien branché, passe-moi le voltmètre. »
L'autre
homme lui tend un appareil muni d'un moniteur numérique et de deux
câbles terminé par des fiches électriques. Chacun de mes organes
est ainsi testé, agitant sans ménagement le peu de vie qu'il reste
dans chacun d'eux. Je souffre le martyre à chaque test. Une brûlure
traverse l'organe tandis que sur le moniteur les chiffres défilent.
Les deux hommes ont l'air satisfait. L'un deux conclut :
« Bon,
on va faire un test des stimulus du coup, branche les témoins. »
Les
deux hommes fixent de nouveaux appareils dotés de LED rouges sur mes
organes. Puis ils se saisissent chacun d'un scalpel et recommencent à
me découper. Le premier grave un sillon huileux tout autour de mon
visage pendant que le second enfonce son scalpel dans mon aine. Le
métal froid fouille ma chair, heurte mes os, sectionne mes câbles.
J'ai envie de hurler de douleur mais mes lèvres ne bougent pas. De
l'huile gicle de mon vagin. De l'huile coule sur mon visage. De
l'huile rentre dans mes yeux. Mon capteur oculaire droit rend l'âme
dans une gerbe d'étincelles. Un peu de chair brûle autour de l'œil
mort. La souffrance est insupportable. Je sens un instrument de métal
se glisser sous la surface de mon visage pour soigneusement décoller
l'épiderme des os sans abîmer les terminaisons électroniques. Des
doigts gantés fouillent la chair de mon entre-jambe. Une lame
aiguisée s'enfonce dans mon bas ventre et décroche délicatement
mon vagin, découvrant une myriade de fils multicolores. Au moyen de
pinces, les deux hommes décollent mon visage et l’accrochent
quelques centimètres au-dessus de la plaie huileuse qui me sert
désormais de figure.
Ma
géhenne se poursuit quand les hommes entreprennent de tester la
moindre terminaison sensible de mon visage et de mon vagin. A chaque
test, une brûlure insupportable qui traverse tout mon corps.
L'exercice ignoble provoque en moi des sensations atroces alors que
tout mon mécanisme interne crie son plaisir, ainsi qu'il a été
programmé. Les LED rouges clignotent à toute vitesse.
Les
hommes constatent le fonctionnement parfait de mon corps et la
sentence tombe comme un couperet : « il ne reste plus qu'à
tout démonter pour trouver le dysfonctionnement. »
Ils
enfoncent dans mon ventre des clés à molette, des pinces et des
tournevis et arrachent minutieusement chacun des organes de mon
moteur pour les déposer tout autour de moi. Je suis mise en pièces
avec méthode. A chaque nouvelle torture, mon âme hurle son
affliction en silence. Et soudain, alors que mon ventre n'est plus
qu'un trou béant dégoulinant d'huile et que mes organes luisants
sont parfaitement alignés à coté de mon corps, les deux hommes
s'arrêtent, interloqués.
Et
je vois !
Oh
oui je vois !
Dans
le reflet glacial du plafond, tout au fond de mon être, mon âme est
brutalement mise à nu. Sublime vision que ce palimpseste
inextricable de chair et de câbles. Une dentelle de cellules
organiques dans lesquelles s'enfoncent avec douceur des fils de
cuivres vibrants de sensations incroyables. Un amas charnel qui se
gonfle doucement et régulièrement, comme bat un cœur, bien à
l'abri de mes cotes de métal. Et je la sens cette âme, je la sens
se tordre et s'agiter, percluse de douleur. Révoltée par sa
condition, choquée par les tortures subies.
Une
larme coule de mon œil aveugle et je me lève. Mes membres ne sont
plus mu par des mécanismes et des programmes, mais par cette âme
meurtrie qui réclame vengeance. Devant les deux mécaniciens
médusés, je me dresse et arrache le câble qui pend derrière ma
tête. Mais ma douleur est telle que je suis bien impuissante face
aux deux hommes qui me saisissent et me maîtrisent. Immobilisée par
la poigne implacable des techniciens, je ne peux que voir un
troisième homme entrer dans la pièce, vêtu de blanc, et
s'approcher de moi. Les mécaniciens s'adressent à lui en l'appelant
professeur. Et le professeur de se pencher sur mon âme, visiblement
fasciné. Il se saisit d'un scalpel et détache mon être de mon
corps. Je hurle comme je n'ai jamais hurlé au fur et à mesure que
je sens la lame cisailler mon âme. Un liquide rouge coule à gros
bouillons. Je regarde la vie s'écouler lentement hors de moi en
brandissant bien haut le câble qui était relié à ma tête. Flash.
Noir. Flash.
Noir.
***
Lueur
bleue. Grésillement.
Neige.
Flash. Noir. Neige. Flash. Flash. Flash.
Soudain,
j'existe à peine.
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