C'était
une belle nuit de Noël. Le genre qu'on ne voit qu'à la télévision
dans de niais feuilletons à base de gens heureux et unis dans
l'adversité, de flocons qui virevoltent au souffle d'un doux vent
d'hiver, de nuits calmes sur lesquelles veillent les bons esprits de
l'amour et que regardent les familles dans le confort d'un salon à
la quiétude à peine froissée par le crépitement des bûches
incandescentes dans le foyer (doux foyer) de la cheminée. Une époque
où l'on oublie ce qui nous chagrine, un moment d'intense bonheur à
partager et de pardons à accorder.
Alors
c'est sûr que par le prisme cathodique, le vingt-quatre décembre
est source de joie et de confort. Ne pas gêner, ne surtout pas
choquer ceux qui vont bien même s'il n'est pas interdit de caresser
leur sensibilité en leur rappelant que pendant qu'ils dégustent la
dinde, d'autres crèvent la faim par delà les fenêtres des vastes
demeures synonymes d'abri et de bienveillance. Ceux-là, les
malheureux qui ont faim et froid, on en parle un peu au journal de
vingt heures et l'on montre qu'on s'occupe d'eux. Ou deux plutôt,
parce que sur dix il y en aura huit autres qui resteront cachés,
oubliés. Parce qu'on ne peut pas nourrir tout le monde, parce qu'on
ne le veut pas. Parce qu'il ne faut pas le dire. Ne rien dire, voir
ou entendre qui puisse être mal.
Et
les foyers se remplissent, les débris vivants s'amoncellent aux
portes des accueils de jour comme de nuit, cherchant qui de quoi se
nourrir ou qui de quoi se réchauffer. «Trop de monde, pas assez de
place» se plaindront les travailleurs sociaux dans la presse où sur
les écrans, ceux-là mêmes qui préfèrent rassurer avec les
téléfilms calibrés pour les vacances de Noël.
Quand
on est l'abri, on veut bien se soucier de celui qui n'y est pas mais
bon, qu'est-ce qu'on peut faire ? Le mieux reste donc de s'emparer de
la télécommande et de vite changer de chaînes. Rassurons-nous par
l'ignorance ! Pas de mépris, probablement même pas de lâcheté
mais ce besoin finalement bien humain de ne penser qu'à soi. Tout en
y dormant. Pour les autres, pour ceux-là, ce sera au mieux un
matelas froid qui sent l'urine, au pire un carton. Les moins chanceux
auront droit à un manteau naturel immaculé. Comme un linceul.
Parmi
ceux là, il y avait Christine. Un nom d'un autre âge pour une jeune
fille d'à peine dix-neuf ans. Pauvre petite marchande d'allumettes
qui avait la malchance de ne même pas fumer. Cendrillon sans
citrouille ni bonnes fées pour veiller sur elle. A écouter son
estomac se lamenter, il y a fort à parier qu'elle aurait préféré
le cucurbitacée à la magie d'une gentille petite bonne femme
volante, un chapeau pointu fiché sur le crâne.
C'est
une casquette que l'ex-adolescente portait sur sa tête blonde. Un
couvre-chef blanc à la visière rouge avec le logo d'une grande
surface commerciale imprimé sur le front. Un gros anorak délavé,
autrefois bleu, pour se protéger de la nature et accompagné d'un
sac à dos, excroissance vitale du routard. Une paire de Jeans
déchirée aux genoux que n'auraient pas renié certains membres de
la mouvance grunge, sauf que dans le cas de Christine ce n'était pas
vendu neuf dans cet état. Hipsters ou Chipsters, la pauvre préférait
les biscuits parce que ce n'est certain pas le look qui vous remplit
le corps et vous donne la force de continuer à avancer. Et avancer,
c'était tout ce qui lui restait ce soir.
Tandis
qu'elle marchait la tête baissée, elle ne put s'empêcher de
sourire en contemplant sa vieille paire de baskets la devancer, les
semelles écorchant à chaque pas un peu plus de caoutchouc sur des
dalles râpeuses. La dalle, elle l'avait. Et pas qu'un peu. Dans le
ventre, dans la tête et sous ses pieds. Ironie du sort, bonsoir ! Et
c'était sans compter l'innocente cruauté des nantis et l'incessante
fumée s'échapper des hottes et des cheminées. Non seulement ça
sentait le chaud, mais en plus ça sentait bon. Et pas d'humeur à se
lamenter sur le triste destin de dizaines de milliers de dindes en
train de cuire dans les fours dans ces moments-là.
Si
elle voulait manger, Christine n'avait pas trente-six solutions.
Trois choix s'offraient à elle :
- se poster près d'un restaurant et attendre que les poubelles se remplissent.
- Trouver un refuge et y goûter leur soupe immonde mais qui tient au corps.
- S'automutiler et profiter des restes.
Le
premier choix se verrait bien vite barré si elle avait eu un stylo.
Pas de restaurant ouvert le soir du réveillon de Noël dans cette
petite ville miteuse où la pauvre Christine avait échoué. Et tant
qu'à faire, pas de refuge non plus. Il y en avait bien un une
quinzaine de kilomètres en amont dans un patelin un peu plus grand
que là où elle se trouvait mais justement, elle préférait
l'éviter par crainte des représailles. En effet, notre Mater
Dolorosa des faubourgs avait profité d'une nuit là-bas pour faire
les poches de ses camarades d'infortune. Ça s'était su, ça devait
se payer aussi s'était-elle carapatée vite fait bien fait.
Enfin,
surtout vite fait puisqu'elle en était réduite à errer dans une
commune-dortoir mais dénuée du moindre lit. Christine se disait que
si elle était née à Limoges ou à Moustier, au moins elle n'aurait
jamais manqué de bol. Oui, on peut être à la rue, transie de
froid, affamée et ne pas perdre son sens de l'humour. Adieu donc le
gîte des déshérités, bonjour la poisse à Triffouillis-Berlette,
son clocher, ses rues désertes (même pas un chien pour lui courir
après ou au mieux lui tenir compagnie), sa place aux terrains de
boules enneigés et son grand rien qui ferait peur s'il ne rendait
pas triste !
La
tristesse. Ce mets plus amer que doux qu'il vous reste à croquer, ou
plutôt à sucer comme l'écume sur la silice d'une morne plage.
C'était loin ça, déjà. La tristesse. On l'éprouve bien à un
moment ou un autre d'une vie d'errance mais elle s'attache à vous
aussi est-ce une ennemie qu'on préfère s'en faire, sans fers. La
tristesse, Christine l'avait laissée à la caisse de la boutique des
sentiments. Parce qu'il faut bien que la carte de crédit soit
refusée de temps en temps. Elle fera sans, c'était décidé. Elle
ne pouvait même plus se la permettre, de toute façon, la tristesse.
Pourtant, cette dernière pointait souvent le bout son nez à travers
des publicités de télé-achat avec facilités de paiement. Et dans
ces moments-là, il n'y a qu'une chaîne dans le bouquet. La misère
c'est le câble mais le choix des programmes n'est pas folichon. Et
la tristesse aurait tendance à être l'une des plus fréquentées.
En tout cas, c'est le désespoir qui tel l'ORTF d'antan, récolte des
piques d'audiences vertigineux. Mais ce soir, Christine avait décidé
de trouver un autre canal, et c'était une émission sur la cuisine
qu'elle s’apprêtait à regarder.
Pour
le moment, son seul spectacle c'était ses pieds. Et sa paire de Nike
flambant vieilles fabriquées par deux ou trois petits chinois qui
étaient sans doute moins dans la détresse qu'elle. Christine vit
alors que sa vue se brouillait légèrement. Elle ferma les yeux et
fut prise d'un vertige. Pas désagréable sur le moment,
pensa-t-elle. Cette sensation de petit bien-être mêlé à une
nausée presque salvatrice. Mais les bonnes choses ont une faim et la
jeune fille rouvrit ses paupières. Une lumière vive mais pas trop
l'éblouit néanmoins. Celle d'un lampadaire à l'ampoule vacillante,
pas bien loin. Une trentaine de mètres. Jouable. Et à la droite du
lampadaire qui brillait comme le phare indiquant la terre, un gros
bâtiment défraîchi trônait comme la gloire passée d'une petite
ville ouvrière. Une gare. Christine jeta un œil sur sa gauche, un
autre à droite. Personne. Et devant elle, ce bel abri de fortune lui
ouvrait ses portes.
Elle
connaissait les gares. Elle y avait souvent dormi et autrefois y
avait même pris des trains. En quête d'ailleurs, parfois. Pour
s'échapper, souvent. Christine n'avait pas attendu cette dernière
année, celle de ses dix-neuf ans, pour vivre une vie misérable
digne de Dickens sans le happy end. Partir, pas revenir. Et quand on
n'a pas d'argent, le train reste la meilleure solution. Et qui dit
train dit gare. Aussi Christine aimait les gares. Ce genre de locaux
motive. Aussi Christine accéléra le pas, regardant droit devant
elle, esquissant comme un semblant de sourire parce qu'elle était
certaine que, même pour une nuit, elle pourrait éventuellement
trouver le salut à cet endroit.
Plus
qu'une quinzaine de mètres et elle serait devant la lourde porte
vitrée et grillagée. Un détail qu'il faudra gérer en temps et en
heure. Les portes sont faites pour êtres ouvertes, pas de raison que
celle-ci n'en fasse pas autant. Et au pire, il y a toujours moyen
d'accéder au quai et là, il y a toujours des endroits pour se
calfeutrer en attendant. En attendant quoi ? Ça , c'était l'autre
détail auquel Christine préférait ne pas vraiment songer, même
s'il n'était pas du genre à lâcher l'affaire, celui-là. Il lui
faudrait alors trouv...
Bimbadaboum...bimbadaboum
! Les lèvres de la jeune femme vinrent embrasser goulûment le
macadam qui recouvrait le trottoir menant à la gare. Son front se
fit humble contre le sol neigeux mais pas assez pour amortir. Et son
genou gauche se déchira dans le choc. Une douleur vive, piquante
mais que Christine pouvait s'en accommoder. La douleur, qu'elle soit
morale ou physique, on vit avec dans sa situation. Si tout à l'heure
elle n'avait pas trente-six solutions, elle avait vu l'espace d'un
instant trente-six belles chandelles qui tournoyaient joyeusement
au-dessus de sa tête.
Christine
s'empressa de regarder des deux côtés de la rue. Personne,
évidemment, mais il n'empêche que la misère n'empêche pas la
dignité, ou plutôt l'envie de ne pas se taper la honte devant tout
le monde. Durant quelques secondes, elle remercia le ciel et le Dieu
des clochards de l'avoir faite chuter dans le dénuement humain le
plus total. Puis elle s'intéressa à la responsable de sa chute, qui
se tenait horizontalement droite, un bon mètre derrière elle. Et
là, Christine ne put s'empêcher de sourire, puis de rire
franchement.
Une
bûche. Une belle bûche de bois, probablement de châtaigner,
étendue sur la chaussée. Qui était-elle ? D'où venait-elle ? La
question resterait entière. Mais risquer de mourir à cause d'une
bûche le soir de Noël sonnait comme un coup du destin pas piqué
des hannetons. «La salope !» pensa Christine à l'attention du
restant de branche. Elle se releva assez facilement, plus de peur que
de mal («Non mais oh ! Même pas de peur du tout !» vous
répondrait-elle) et s'approcha de la bûche, lui donnant un léger
coup de pied comme un vérifierait l'état de santé d'un animal
mort. Elle apprécia de constater que l'objet du délit ne bougea
pas. Christine se dépêcha donc de remettre son sac qui était parti
de traviole et continua sa route vers la gare, non sans se retourner
vers la bûche pour l'honorer d'un doigt d'honneur victorieux.
Son
genou lui faisait mal mais ne l'arrêterait pas. La petite marchande
d'allumettes se tenait devant les grilles du château ferroviaire,
prête à demander asile et pitance, le cas échéant. Évidemment,
le local était fermé. Ce n'était pas une surprise pour Christine.
Les portes verrouillées, elle connaissait et ce n'était
certainement pas une serrure véloce doublée d'un rideau de fer qui
auraient raison de sa volonté. Mais ça c'est surtout ce qu'elle se
disait pour se donner du baume au cœur mais, au fond d'elle,
Christine commençait singulièrement à fatiguer.
Une
secousse, pour le cas où. «Au p'tit bonheur la chance» dit-on dans
ces moments-là, pour faciliter le sort. Mais quand ni le bonheur
(même petit) et ni la chance ne vous accompagnent gaiement sur la
route du vide, les possibilités de succès restent réduites.
Néanmoins, le jeune femme ne voulait se résoudre à l'échec.
Bien-sûr que la porte ne céderait pas facilement mais ça valait la
peine d'essayer. Hors de question cependant de forcer. Il ne fallait
pas attirer l'attention. Cette gare demeurait la perspective d'une
nuit à l'abri du froid et de la neige et il aurait été plus que
regrettable qu'un excès d'enthousiasme rende les heures à venir
difficiles.
Alors
que son genou écorché avait décidé en bon petit anarchiste
corporel d'intensifier la douleur causée par la bûche, Christine se
décida de contourner la porte principale. Sur le côté du bâtiment,
juste au-dessous du lampadaire ambiance discothèque, il y avait une
haie d'arbustes. Mais entre l'orée de la haie et la gare elle-même,
une petite grille prônait fièrement, à la manière d'un chevalier
d'autrefois gardant l'accès d'un pont.
«No
shall pass !» pensa la blonde souillon, un petit sourire au coin
des lèvres gonflées par leur contact avec le sol il y encore
quelques minutes. Elle se mit alors à avancer lentement vers cette
grille, et sentit son cœur se mettre en action, puis battre
franchement la chamade au fur et à mesure qu'elle s'en rapprochait.
Quel suspense intense ! La porte grillagée serait-elle ouverte ou
faudrait-il l'escalader pour accéder à l'autre côté ? Réponse
dans trois,deux,un...
Christine
se tenait devant la grille. Elle sortit la main de sa poche pour
effleurer la clinche. Ce mouvement lui rappela d'ailleurs ce qu'un
vieux clochard d'évidence aviné lui avait dit une fois : «Ne
jamais marcher avec les mains dans ses poches ! Si on tombe, on peut
pas se rattraper».
Et
il avait raison, le bougre ! Si elle avait sortit ses deux mimines du
fond de son anorak, Miss allumettes aurait sans doute pu anticiper sa
trépanation buccale sur le goudron et la transformation furtive de
son genou en steak tartare. Elle retourna la tête vers la bûche,
qui n'avait pas changé de place depuis la dernière fois et qui lui
donnait la néfaste impression de la narguer avec toute la morgue que
sa condition d'amputation de hêtre desséché lui permettait. Et
puis qu'est-ce qu'elle fichait là, cette bûche, bon sang ??!! On
n'a pas idée de laisser traîner des bûches de bois devant une gare
le soir de Noël.
Le
regard de la blonde quitta l'arrogant rondin pour se focaliser sur la
poignée de porte de la grille. Ce n'est pas qu'il faisait froid mais
quand même un peu. Et mieux valait ne pas se faire remarquer à
rôder trop longtemps devant la gare. Le cœur net. La main se pose.
Les doigts trépignent et empoignent le métal glacé et couvert de
neige. Tel un animal blessé, la clinche pousse un petit cri que
Christine aurait préféré éviter. Elle venait de comprendre le
sens, du moins selon elle, de l'expression «Tout baigne dans
l'huile» et s'amusa d'un «Toute beigne dans l'huile» à
l'occasion d'un match de catch féminin se déroulant dans un bac
rempli de liquide ruisselant et dégoulinant. Une façon comme une
autre de distiller l'angoisse.
La
porte était ouverte. Ou bleue ? On ne pouvait le deviner avec toute
cette neige. Quoi qu'il en soit, le pont-levis menant au château
venait de s'abaisser et il était l'heure d'envahir le royaume.
C'est
les yeux pétillants que Christine faisait connaissance avec la face
cachée de la gare. C'était un quai pas très gai, voire même
détraqué. Mais qu'est-ce qu'on peut y faire ? Ni trop grand, ni
trop petit. Rien de comparable avec ceux d'une grande gare de
métropole mais étonnamment vaste pour une si petite ville qui ne le
méritait presque pas, finalement, ce quai. Pas un bruit, pas un
mouvement. Le silence chatouillé par les vibrations électriques de
deux lampadaires. Un escalier souterrain menait de l'autre côté,
vers les trains en partance dans la direction opposée. Derrière, de
vieux wagons destinés aux voyageurs avaient probablement été
laissés à l'abandon. Ils portaient les stigmates colorés de
graffitis bariolés. Christine s'essaya au déchiffrage de certains
d'entre-eux mais l'art des rues est aussi un code qu'elle ignorait.
Aussi abandonna-t-elle rapidement même si elle se sentait proche de
cet esprit de rébellion urbaine par la beauté de la peinture. Elle
se dit aussi qu'avec un petit coup de pouce, les portes de l'un des
wagons ne seraient-elles pas bloquées et qu'elle pourrait alors y
passer la nuit. Surtout que l'heure tournait et que l'horloge de la
gare indiquait qu'il était bientôt minuit. Dormir. Et manger.
Surtout manger.
Christine
s'aventura sur le quai enneigé. Les portes arrières de la gare
étaient également fermées. Pas d'accès possible à l'intérieur.
Mais cela rassura la jeune fille qui conservait quelque velléité de
conscience et qui préférait finalement ne pas avoir à s'introduire
dans un endroit qui lui était de toute façon interdit. Et puis, il
y avait toujours les wagons.
C'est
une lumière qui attira son attention derrière un gros mur qui
encadrait les portes. Une lumière faible mais vaillante. Celle d'un
distributeur.
C'était
Byzance ! Juste devant la blondinette, le fier gros bloc de métal
et de plexiglas proposait tout un assortiment de nourriture parfaite
pour la santé. Chips, chocolats, bonbons acidulés au doux parfum
chimique de fruits, gâteaux...de quoi se remplir le ventre et tenir
un petit moment tout en se régalant. Ah ça...c'était autre chose
que la soupe populaire ou les steaks hachés à moitié cuits des
refuges où elle avait pu traîner ses guêtres.
Un
ami de passage, Freddy, lui avait appris à attraper des friandises
de distributeur en utilisant un porte-manteau de fer démantibulé.
Ce n'était pas bien compliqué mais cela nécessitait doigté et
adresse. Or, il se trouvait que Christine avait bien retenu les
leçons et était devenue plutôt douée pour chiper des chips.
Elle
se débarrassa de son sac à dos. A la manière des escargots et des
tortues, c'était un peu sa maison que la jeune fille portait sur
elle. Quelques sous-vêtements de rechange dont au moins deux qu'elle
essayait de garder propres pour les grandes occasions, deux gros
pull-overs généreusement subtilisés dans un magasin (oui ben la
conscience hein, parfois...), une deuxième paire de Jeans,
visiblement moins abîmée que celle qu'elle portait ce soir-là.
Deux bonnets, une autre casquette sans marque dessus, un polo en bon
état, une paire de haut-talons qu'elle avait trouvée quelques mois
auparavant dans la rue (vrai de vrai!) , un magazine de sudokus en
partie rempli et un Game boy sans pile mais auquel elle tenait comme
un trésor. Enfin, une grosse couverture de laine et un tapis de sol
enroulé venaient combler le sac. C'était ses biens, sa vie, ses
inanimés compagnons d'infortune. Et le fameux porte-manteaux ! Elle
s'en empara bien vite et se mit en tête de s'offrir un repas de Noël
digne de rien. Ou digne d'elle, finalement.
Un
rapide coup d’œil pour la convaincre qu'il n'y avait pas de caméra
de surveillance. Ce n'était pas le cas mais quand bien même,
Christine doutait que les forces de l'ordre viennent l'arrêter un
soir de réveillon pour vol de saloperies dans un distributeur
automatique. Elle se mit à genou (douleur) et bien vite,déplia le
bout de métal et l'inséra sous le compartiment prévu à la
réception des denrées légalement payées. La jeune femme
s'appliqua, passant la langue comme une enfant qui cherche à bien
faire, et parvint sans trop de peine à faire tomber une barre
chocolatée qu'elle se dépêcha bien vite d'attraper, de déballer
et de manger. Nonobstant son appétit, Christine fit attention à ne
pas dévorer trop rapidement le chocolat afin d'éviter le même
triste sort que le fameux Freddy qui lui avait appris à dévaliser
les distributeurs. En effet, celui-ci était mort étouffé par un
Mars. La nature étant bien souvent mal faite, il aurait sans doute
été préférable qu'il passe de vie à trépas à cause d'un Bounty
car au moins, ça vous donne un vrai goût de Paradis.
La
blondinette affamée ne pouvait se contenter d'un morceau de chocolat
d'une dizaine de centimètres de long et décida de s'attaquer aux
chips. Mais, prise dans son élan et d'un excès de confiance, elle
ne parvint qu'à casser le porte-manteau qui lui servait à
déclencher la chute des aliments. Elle savait bien que ce n'était
pas solide et qu'il fallait faire attention en manipulant ce genre de
crochet fait main mais la situation et le «ragaillardissement»
fourni par la barre l'avait poussée à l'irréparable.
Bimbadaboum...bimbadaboum !
Les
espoirs de ventre-plein s'envolaient lentement mais sûrement. La
cassure du fil de fer était telle qu'il n'était plus d'utilité à
présent. Christine aurait pu utiliser les deux euros qu'il lui
restait pour s'acheter un paquet de Chips mais c'était son unique
fortune et elle avait l'intention de la garder le plus longtemps
possible. Elle se releva et donna un coup de pied à la machine. Les
images de festin de caries qui dansaient dans sa tête il y a encore
quelques minutes s'estompaient les unes à la suite des autres. C'est
à une triste réalité que les bonheurs fugaces laissent la place.
Et la réalité de Christine, c'était d'avoir faim pendant encore un
bon moment tout en essayant de dormir sous un banc ou contre le
distributeur qui était source de chaleur. Car dans des moments comme
celui-ci, on en venait à douter d’éclaircies dans les ténèbres.
Et tant qu'à faire, les wagons où Miss allumettes aurait pu passer
la nuit seraient probablement inaccessibles. Ou alors...ou alors
aller chercher la bûche qui l'a faite tomber tout à l'heure et se
venger à la fois sur cette dernière et sur le distributeur en
utilisant le bout de bois pour fracasser la vitre et s'emparer des
trésors culinaires qui se trouvaient derrière. Elle y pensa. Puis
abandonna très vite l'idée. Il ne lui restait plus qu'à dormir, ou
tout du moins à se parer du froid et de la neige en attendant le
jour.
Christine,
découragée comme un champion qui termine dernier d'une course
réputée facile, se laissa tomber les fesses les premières sur le
quai, les pieds dans le vide à quelques centimètres des rails. Non,
elle n'avait pas l'intention d'en finir et d'attendre le premier
train venu pour se jeter dessous. Mais elle y pensa. On y pense
toujours quand on vit la vie de Christine. La force morale et la
justesse d'esprit n'évitent pas dans les situations de détresse
d'exprimer l'envie d'arrêter les frais. Mais elle se disait toujours
qu'elle était encore bien jeune, que le soleil brillerait de nouveau
pour elle.
Mais
dans ces moments-là, c'est la nuit qui l'emporte. Dans ces
moments-là, on se souvient des belles choses. Dans ces moments-là,
on pleure. Et c'est ce que fit Christine. Mémoire estropiée d'une
enfance pas bien heureuse mais avec de bonnes passes, les parties de
football dans l'herbe fraîchement coupée du terrain vague avec les
copains des foyers, le premier baiser échangé avec Julien le voisin
de la seconde famille d'accueil. Et les dérapages, les fuites, les
attouchements dans les refuges, les claques dans la figure...cet
immense trou béant qui vous engloutit plus lentement que le gouffre
de Sarlacc ne l'a fait pour Bobba Fett. Alors on pleure.
Et
Christine se tenait là, dos au distributeur, à la gare, à la
ville. Assise sur le quai, sans attendre de train qui de toute façon
n'arriverait jamais. A se demander de quoi l'avenir serait fait, à
le redouter, à s'en ficher, à exprimer des émotions
contradictoires l'espace de quelques micro-secondes. Et rien, rien ne
viendrait la déranger, pas même un chien errant, pas même un
compagnon d'infortune. Seule la neige et le calme pas forcément
bienveillant de l'hiver. Et ce paquet de bonbons qui vint lui heurter
délicatement le dos avant de retomber par terre, dans un bruit de
douceurs qui s'entrechoquent au plastique gélifié par le sucre.
Puis un autre, et un troisième.
Christine
se retourna brusquement, la frayeur dans le le regard embué. Il n'y
avait rien derrière elle. Rien d'autre que le distributeur, son sac
à dos, les restes du porte-manteau...et les trois paquets de bonbons
entassés l'un sur l'autre à quelques centimètres du séant de la
jeune fille. Elle s'empara non presque sans crainte de l'un des
paquets, le pesa, le jaugea puis scruta les quatre points cardinaux à
la recherche de l'identité de ce possible bienfaiteur qui lui avait
laissé de la nourriture. Rien. Ni personne. Sans demander son reste,
Christine ouvrit le paquet, prit un bonbon et hésita à le porter à
sa bouche. Elle le mangea. Une petite boule à la fraise remplie
d'une crème qui lui éclata sur les dents. C'était un délice. Les
riches pouvaient bien s'étouffer avec leurs bûches glacées (ou
glisser dessus), même les desserts les plus chers des pâtissiers
les plus renommés ne valaient pas cette petite boule à la crème.
Et il y en avait d'autres dans le sachet. Et plein de parfums !
Miss
Allumettes sécha ses larmes d'un revers de manche d'anorak. Alors
qu'elle allait goutter d'autres sucreries, un claquement fut émis
par le distributeur juste en face d'elle. Le clapet donnant accès à
la nourriture venait de s'ouvrir tout seul. Un paquet de chips en
surgit et acheva son vol plané contre le front de la blondinette.
Surprise comme effrayée, Christine eut un brusque mouvement de recul
et manqua de tomber sur la voie. Elle se retint d'elle-même et
s'éloigna de la bordure du quai, tout en faisant attention à ne pas
rester devant la machine. Quelle diablerie pouvait bien faire agir
l'engin de la sorte ? La jeune fille voulait s'assurer qu'elle ne
rêvait pas, qu'elle n'était pas en train de délirer, à l'agonie
suite à sa chute sur le trottoir dans la rue. Elle se donna du
talon droit un coup dans le genou gauche et retint un hurlement. Pas
de doute, elle avait toujours mal, et bien mal même. Et froid. Et
faim par dessus le marché. Donc non, elle ne rêvait pas et n'était
probablement pas morte.
Christine
se mit en chemin vers le distributeur. Celui-ci demeurait droit et
stoïque et ne régurgitait plus d'aliments depuis l'envol du paquet
de lamelles de patates séchées et salées d'il y a un instant à
peine. Alors qu'elle s'en approchait, une des lampes éteintes fixées
au mur-arrière de la gare s'alluma sans la crier. Puis une autre,
puis toutes les autres. Une bonne dizaine d'ampoules venaient ainsi
d'éclairer l'endroit. Christine chercha à se mettre à l'abri, à
se cacher d'un éventuel gardien qui venait de remarquer sa présence.
Elle se précipita comme elle pouvait sous un large banc de béton et
s'y glissa, non sans que son genou lui rappelle à son bon souvenir
qu'une belle plaie le surmontait.
Elle
attendit une bonne minute, se rendant compte que son sac à dos était
resté à la vue de toute le monde, près du distributeur. Elle
hésita à aller le chercher mais la douleur et une fatigue diffuse
mais persistante la firent renoncer. Deux minutes. Trois. Quatre.
Rien. Pas un chef de gare vieillissant et trapus, le sifflet à la
bouche, n'était venu déranger la quiétude de l'endroit.
Christine
s'extirpa du banc, comme une biche à l’affût. En essayant de
faire le moins de bruit possible, elle s'avança en direction de son
sac, s'en empara et en profita pour toucher le distributeur
automatique. Celui-ci ne réagit pas. La jeune fille rangea ses
affaires, dos au quai. Elle ne comprenait pas très bien ce qui se
passait mais n'avait plus trop envie de traîner dans les parages.
Enfin, elle avait vu suffisamment d'émissions consacrées aux
phénomènes surnaturels pour se douter qu'il n'y jamais rien de bon
dans de genre de manifestation paranormale.
Et
pourtant, l'action de la machine n'était pas forcément une mauvaise
chose. A la peur se juxtaposa l'envie de savoir, l'envie de rester.
Elle avait maintenant de quoi manger et elle pouvait à présent
jeter un œil aux wagons de l'autre côté des voies afin d'y trouver
une entrée et peut-être d'y dormir, à l'abri pour une nuit du
froid et de la neige de Décembre.
La
jeune fille s’exécuta et décida de traverser la voix plutôt que
d'emprunter les escaliers qui la mènerait de l'autre côté. Un
soupçon d'indolore rébellion dans un monde de soumission, selon
elle. Pas de train à l'horizon. Aucun risque. C'est au contact de
ses pieds contre les rails et les cailloux qu'elle se rendit compte
que son genou blessé aurait sans doute préféré l'escalier. Mais
le mal était fait. Elle était en bas et se dépêcha bien vite de
rejoindre la rive d'en face. C'est là qu'elle se rappela qu'il
fallait à présent grimper la bordure d'un bon mètre de haut et que
ce même genou allait évidemment lui rappeler à son bon souvenir.
Mais bon, Christine parvint sans trop de difficulté à escalader et
se retrouva alors face au dos de la gare et au distributeur magique.
L'endroit était toujours aussi calme et passablement inquiétant.
Miss
Allumettes vérifia encore et toujours qu'il n'y ait bien personne
dans les parages et entreprit d'ouvrir la porte à battant du premier
wagon. A peine eut-elle effleuré la poignée métallique que les
deux volets s'actionnèrent ! Un mouvement de recul. Christine
n'avait même pas touché la porte ! «Objets inanimés, avez-vous
donc une âme ?» marmonna-t-elle. Ce n'est pas que c'était
devenu normal pour elle mais les événements bizarres autant
qu'étranges qui semblaient se dérouler ici l'inquiétaient moins, à
présent.
Elle
entra dans le wagon. Celui-ci était en piteux état. Les sièges
étaient pour la plupart déchirés, tagués, et mal en point. La
mousse s'extirpait des trous, les tablettes de lecture avaient été
arrachés des parois et il y avait plusieurs carreaux de cassés. De
plus, elle ne devait pas être la première à s'être introduite
dans l'endroit puisqu'il y avait des couvertures souillées par
terre. Le wagon, le squat préféré des clochards et des sans
domiciles quand l'hiver s'en vient.
Christine
avança au milieu des débris du compartiment et se chercha un
endroit pour manger ses saletés chimiques, ses chips et essayer de
dormir. Par chance (comme quoi des fois...), elle n'eut pas à
marcher longtemps avant de tomber sur un siège en bon état juste au
dessous d'une vitre qui n'avait été fracturée en mille morceaux.
L'endroit lui paraissait fréquentable même si son côté lugubre
n'en aurait pas fait mener large à beaucoup. Mais bon, malgré
l'ouverture automatique des portes tout à l'heure, qu'elle mettait
sur le compte d'un éventuel soubresaut de technologie rouillée ou
d'un courant d'air, la blondinette en casquette se dit qu'elle tenait
là son campement pour la nuit. Ce n'était évidemment pas ce que
l'on pouvait rêver de mieux pour passer le réveillon mais ça
ferait l'affaire, se disait-elle tout en prenant ses aises.
Les
minutes passèrent et les dents de Christine prenaient cher tandis
que la demoiselle ingurgitait ses paquets de bonbons et de chips.
Elle avait décidé d'en garder un pour le lendemain, au cas où.
Elle se dit aussi qu'elle avait soif. Pour ça, pas besoin de payer
ou d'attendre qu'une machine détraquée vous fournisse en canettes
de soda, cannette que l'appareil ne contenait de toute façon pas.
Mais il neigeait, c'était blanc de partout et il suffisait de manger
une pleine main de flocons tombés du ciel pour calmer une envie de
boire. La jeune fille quitta le confort aléatoire de son petit nid
pas douillet et sortit afin de ramasser un peu de neige. Dehors, il
faisait suffisamment froid pour qu'elle se dépêche de revenir à
l'intérieur.
Il
fallait dormir à présent, il était minuit passé et elle n'en
pouvait plus. L'hiver, la route, son petit coup de moins bien de tout
à l'heure et l'affaire de la bûche maudite avaient raison de tout
tonus pour aujourd'hui. Lasse, Christine enfila un second pull-over,
remit ses gants de ski (c'est tout ce qu'elle avait trouvé chez
Emmaüs), sa casquette la plus chaude, ajusta son anorak et se
pelotonna sous sa grosse couverture, un des rares souvenirs de
famille qui lui restait. La légende disait que c'était son arrière
grand-mère qui l'avait cousue. Lé légende disait beaucoup de
choses.
Le
sommeil vint rapidement, sans que Christine n'ait à se forcer.
Enfouie sous les tissus, elle songea encore une fois au distributeur
qui s'était mis à lui donner de quoi manger, aux portes qui
s'étaient ouvertes toutes seules, aux lumières qui s'étaient
déclenchées par l'opération du Saint-Esprit et à cette fichue
bûche sur laquelle elle avait trébuché. Puis elle ferma les yeux,
espérant ne pas être dérangée durant cette nuit sacrée.
Elle
ne le fut pas. Tout était paisible.
Thackoum...tchakoum...tchakoum...Chtistine
se sentait comme un bébé qu'on dorlote. Comme dans un couffin
qu'une main aimante berce doucement et tendrement. Et ce bruit
persistant mais apaisant. Tchackoum...tchakoum...tchakoum...Elle
ouvrit les yeux, les paupières collées par les larmes du matin.
Comme s'il était triste de dire adieu à sa nuit, son éphémère
nuit qui ne durerait que quelques heures. En se réveillant, elle
s'étira de tout son long en baillant sans discrétion. Une fois les
pupilles remises en place, elle se sentait désorientée, perdue.
C'est en écarquillant les yeux qu'elle sursauta, attirant
l'attention d'un homme âgé assis quelques mètres devant elle et
qui lisait son journal. Il la regarda sans mépris et lui sourit
avant de reprendre son activité de lecture.
«-Bien
dormi ?» lui demande alors son voisin de siège, de l'autre côté
du train. Christine lui répond d'une voix encore endormie :
«-Comme
un loir en gelée !». Cela fait sourire le jeune homme qui lui
s'inquiéte du sommeil de la jeune femme.
«-Et
j'ai ronflé ?» l'interroge-t-elle.
«J'ai
rien entendu, je dormais aussi.» le probable trentenaire ne veux
pas avouer à Christine qu'elle aurait dérangé tout le train s'il
avait été plein. Mais les soirs de Noël, c'est rarement le cas.
Il
est mignon avec ses petites lunettes d'intellectuel et son air de ne
pas y toucher. Miss Allumettes a vu dans son regard qu'elle lui
plaisait.
Avec
les années, elle a appris à ne plus se méfier des gens, à les
accepter comme ils l'accepte. Elle a changé, s'en est sortie. La
nuit où elle s'était arrêtée dans cette gare d'un bled perdu
avait marqué un tournant dans sa vie. Onze ans se sont écoulés.
La
petite sans domicile qui se nourrissait quand elle le pouvait de
bonbons et de sucreries a compris que bûches et embûches ne
l’empêcheraient pas de s'accomplir. De se retrouver. Cette machine
qui l'avait nourrie, ces lumières qui s'étaient allumées pour
éclairer la nuit et ces portes automatiques qui s'étaient ouvertes
devant elle étaient-ils des coups de pouces du destin ? Une force
supérieure qui la guidait et qui avait décidé de lui montrer la
route à prendre ? Christine n'en sait rien. Toujours était-il
qu'elle n'avait jamais aussi bien dormi que ce soir-là tandis qu'à
dix-neuf ans et le genou écorché, elle s'était réfugiée sur le
quai des merveilles. Et que les jours qui suivirent furent
surprenants et bénéfiques. Bien-sûr, elle dut encore affronter
crises et tempêtes mais elle avait un but qui allait au-delà de la
survie, au-delà de l'errance. Cette nuit là, elle fit un rêve.
Elle s'en souvient encore aujourd'hui. Un songe où les wagons de la
rame abandonnée s'étaient mis en branle et l'avait emmenée par
delà les nuages dans une lumière étincelante qui l'enveloppait de
son bien-être. Elle avait pleuré durant tout ce rêve. Mais il ne
s'agissait ni de larmes de tristesse ou de joie, juste des larmes de
libération. Le malheur, la détresse et la souffrance s'étaient
simplement expurgés de son corps et de son esprit. Elle avait été
lavée, vidée, remise en ordre. Elle s'était vue belle, aimée et
aimante, dans des endroits qu'elle n'avait jamais fréquentés
auparavant. De belles villes accueillantes et saines où elle n'était
pas rejetée et où elle apportait son aide.
C'était
le plus beau des rêves. Quand elle se réveilla le lendemain, la
neige avait cessé de tomber et recouvrait la terre d'une couche
bienfaisante. Il faisait moins froid, elle avait moins faim. Elle
était ressortie du wagon et s'était retrouvée sur le quai en
empruntant cette fois l'escalier et non en traversant la voie. Avant
de partir, Christine avait embrassé le distributeur, un doux baiser
de départ et de remerciement. Jamais elle ne saurait réellement ce
qui s'était passé lors de ce réveillon avec les étoiles. Mais il
fallut d'une nuit pour la changer et lui faire entreprendre les
fondations de ce qui serait sa vie. Sa vie.
Christine
se frotte les mains et range ses affaires à l'annonce de l'arrivée
prochaine à l'endroit où elle se rend. Elle en profite aussi pour
réveiller sa fille de quatre ans qui dormait encore paisiblement sur
le siège devant elle, emmitouflée dans une couverture légendaire.
Le train en gare, elle dépose une bise sur le front de son voisin
qui n'en revient pas, rougissant comme un gourmand qui se serait rué
trop vite sur les piments d'un restaurant chinois.
Dehors
il ne fait pas très chaud mais il fait bon. Sa fille, petite tête
blonde qui se protège dans les bras de sa mère, s'amuse du soleil
qui lui chauffe les joues. Christine prend l'escalier , traînant sa
valise derrière elle. Elle se retrouve alors de l'autre côté, sur
le quai de la gare. Là, son mari l'attend et la prend à son tour
des bras. En quittant la gare, Christine remarque une bûche étendue
à quelques mètres d'elle. Il n'y a bon sang de bonsoir aucune
raison valable à la présence de ce bout de bois sur la chaussée.
Elle murmure quelque chose à l'oreille de son époux qui, un brin
surpris, reprend sa fille dans ses bras alors que sa maman se dirige
vers la bûche, la jauge avant de s'accroupir et de s'en saisir. Elle
revient au pas de course vers sa petite famille.
-Qu'est-ce
que tu vas faire avec cette bûche ? Qu'est-ce qu'elle fait là
d'ailleurs ?
-Bah
! Je lui dois bien ça. Répond Christine dans le creux de l'oreille
de l'homme qu'elle aime.
Alors
que tous trois s'éloignent de la gare pour regagner leur foyer, la
petite blondinette, rejetonne de Miss Allumettes, s'empare
discrètement du paquet de bonbons que le distributeur situé
derrière eux vient de lui jeter. Elle sourit.
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