lundi 11 novembre 2013

Noël lointain [Southeast Jones]

I


    Vous dites que vous avez vu qui ?
    Le père Noël, sans blague, il m’a bien semblé que c’était lui.
    Dites voir, rétorqua le prévôt hilare, vous n’auriez pas un peu abusé de l’alcool de roche ? Vous savez que nous sommes à plus de six cents années lumières de notre bonne vieille Terre et qu’il y a peu de chance que le vieil homme passe faire un tour par chez nous, c’est que ça fait loin pour distribuer les jouets. Et puis dame, vous avez quoi, soixante-quinze ans ? Même les gosses ne croient plus à ce genre de fariboles !
    Moi, pour ce que j’en sais, j’ai bien vu un gros bonhomme barbu et habillé de rouge sur un traîneau. Il ne volait pas bien haut, à mon avis, il s’apprêtait à se poser.
    Et les rennes, vous avez vu les rennes ?
    Là, j’sais pas trop, j’ai bien vu des bestiaux, pour sur que ça y ressemblait, mais de là à affirmer que c’était des rennes…
    ‘Savez quoi Dumontier ? Vous devriez rentrer chez vous, vous faites une petite sieste histoire de vous requinquer et ce soir, vous réveillonnez tranquillement en famille.  Je ne vais pas me taper un rapport à… bon sang, déjà seize heures ? Je ferme boutique dans trente minutes et j’ai aussi le droit de faire bombance avec les miens.
            Sylvain Dumontier haussa les épaules en maugréant et prit le chemin de la sortie.
Le Prévôt sourit en regardant le vieil homme partir. Un brave type, ce Dumontier, un peu porté sur la bibine, mais à cet âge, on pouvait beaucoup pardonner, surtout qu’il avait la boisson paisible. Le Père Noël, n’importe quoi !

***

          Dumontier rentrait donc chez lui, il trainait un peu la patte, mais à part ce petit désagrément dû à une vilaine fracture quelques années plus tôt, il avait conservé toutes ses facultés intellectuelles. Les natifs de Carabistouille IV (quel nom stupide pour une planète !) y étaient pour beaucoup. C’était une race étrange dotée de mystérieux pouvoirs psychiques. On les savait télépathes, quelques rumeurs non vérifiées faisaient aussi état d’observation de manifestations télékinésiques.  Essayez d’imaginer un drôle de bibendum avec une tête presque aussi grosse que le corps, deux longs bras filiformes et trois jambes épaisses et fortes ; de curieuses, mais sympathiques créatures.
         Il s’était lié d’amitié avec un vieux sage qui n’était pas loin de ses deux cents ans. K’murr lui avait enseigné une technique de concentration qui lui permettait d’entretenir sa mémoire et de renforcer ses fonctions cognitives.  Il s’arrêta un instant pour souffler.
Il se bourra une pipe, en songeant qu’il était dommage que le tabac ne s’acclimate pas ici. Le shavi n’était pas mauvais, mais il supportait difficilement les légers effets psychotropes que cette plante occasionnait chez les humains. Aussi le coupait-il avec de la luzerne torréfiée. Cela donnait un ersatz de tabac acceptable, quoi qu’un peu âcre.
         Le prévôt Marin avait tort, il n’avait pas bu une goutte aujourd’hui. Par contre, il avait fumé trois pipes en chemin, s’arrêtant ça et là pour admirer l’incomparable beauté de la vallée de Riim’n.  Ceci expliquerait-il cela ? Il assura le sac de provisions et de cadeaux sur son épaule et reprit la route. Le chemin était encore long.



II



            C’est donc aujourd’hui Noël ? demanda l’un des enfants ?
    Oui, c’est comme ça que les Humains appellent ce jour, répondit K’murr, bien que je ne comprenne pas bien à quoi cela corresponde. Je crois que ça a quelque chose à voir avec l’une de leur religion. Mais j’aime bien le concept, un jour de fête, des cadeaux… J’ai trouvé que ce serait une bonne idée. Alors que chez eux les fêtes sont rares, nous avons depuis toujours fait le choix de considérer chaque jour comme s’il était exceptionnel. Et si l’on se donne la peine d’y réfléchir, n’est ce pas le cas ? Le fait de vivre sur un monde où l’opulence est la norme ne doit-il pas être célébré comme il se doit ? La présence de quelques milliers d’hommes exploitant ce minerai jaune dont nous n’avons aucune utilité n’est pas un prix trop élevé si l’on considère ce qu’ils nous ont apporté : le carnaval, Halloween, Pâques… et maintenant, Noël
    Raconte encore, comment c’était de voler ? demanda timidement le plus jeune.
    Ah, Jollah, ce fut dur, il y a des lustres que nous avons abandonné le vol pour la téléportation, mais c’était grisant, et épuisant, je ne suis plus de première jeunesse.
    Et pour les animaux, comment as-tu fait ?
    Des glyphes que j’ai fascinés avant de leur coller des attributs de rennes terrestres. Le plus dur a été de maintenir la cohésion du groupe en vol. Pour le reste, votre mère m’a confectionné un costume, je me suis affublé de foin de shavi teinté en blanc… Vous avez vu le résultat. Imaginez des millions de Pères Noël sillonnant les cieux, le traîneau bourré à craquer de jouets et de friandises diverses ! Des millions !
Et les Humains n’en n’ont qu’un ! Les pauvres ! S’esclaffa-t-il.
Mais nous avons été discrets, nous volions aux limites de la stratosphère. S’ils savaient que nous faisons la fête tous les jours, ils voudraient certainement se joindre à nous, leur vie est si triste. Et bien que je tienne quelques Hommes en haute estime, il est hors de question qu’ils participent un jour à nos fêtes sacrées !



        




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