samedi 11 mai 2013

Love Me Sweet [Diane]


LOVE ME SWEET
Love me tender,
Love me dear,
Tell me you are mine.
Ill be yours through all the years,
Till the end of time.
Ken Darby /Elvis Prestley, Love Me Tender

Lewis mon amour,
Je t’écris cette lettre car il est temps de mettre les choses à plat. Il est temps de mettre à bouillir le cochon comme tu disais avant de partir travailler. Tu te souviens, tu m’embrassais sur le front, tu croyais que je dormais, je ne dormais jamais. Je ne voulais rater ton baiser matinal pour rien au monde, et ton odeur de petit Babe tout propre au sortir de la douche, juste rasé m’excitait comme tu n’avais pas idée, elle me fait encore mouiller quand je l’imagine un peu trop fort, au point qu’il me faut respirer un mouchoir imbibé de ton après-rasage pour me calmer, après-rasage dont j’ai acheté plusieurs flacons, comme si tu n’étais jamais parti. Cela ne fait que renforcer ton absence un peu plus.
Depuis plusieurs jours j’ai l’angoisse de faire les courses. Cuisiner des ratons-laveurs écrabouillés, des restes de biche volés dans la forêt, je n’ai jamais vraiment rien eu à redire à propos de ça. Désemparée par le vide que tu as laissé auprès de moi. Dans un état second jeudi dernier j’ai ramassé le cadavre d’un chat sur la route, bouffé par les corbeaux et les fourmis. Bien lavé, correctement mis à mariner selon tes méthodes, il a fait un bon repas quelques jours plus tard et j’ai fait un adorable petit coussin Hello Kitty avec sa fourrure. Je ne sais pas si tu as entendu dans ta cellule mais : ils mettent du cheval et Dieu sait quoi d’autre encore, dans les plats surgelés européens. Je comprends pourquoi tu voulais que je mange de la viande de qualité, et fraîche. J’imagine que des êtres humains ont dû finir un jour dans les usines Findus et pas seulement par accident. C’est tout à fait possible que cela soit déjà arrivé, mon oncle quand j’étais petite avait découvert un jour un index dans une boîte de saucisses cocktails. Un jus marron crémeux avait remonté du fond de la boîte quand il avait sorti le doigt coupé pour le mettre à sa bouche, croyant prendre une petite saucisse. Cette vision d’horreur est encore très vive dans mon esprit.

Mais mon amour, ne va pas t’imaginer que le monde m’intéresse plus que toi désormais. C’est le contraire je meurs sans toi. Je pleure toujours le soir, et la nuit dans mon lit pour me calmer, seul le souvenir de notre rencontre à la bar mitzvah de ton neveu arrive à faire descendre l’affliction de mon cœur – si tu te demandes ce qu’est l’affliction, c’est l’angoisse, ça vient de « affliger », quand on est trop dans la peine. Oui, sans toi, je suis trop dans la peine. Je me souviens encore de l’odeur des côtes, des saucisses de Francfort, et des steaks que tu faisais griller, quand ton regard a croisé le mien. Et qu’ensuite pendant toute la soirée, alors qu’ils faisaient leurs rites bizarres, tu me regardais en buvant une bière kasher, de la sueur perlant sur tes tempes et ton front. Mais c’est ainsi que la vie est faite, la justice ne fonctionne que pour le plus grand nombre, pas pour les individus exceptionnels comme toi. Les êtres exceptionnels, uniques, sont poursuivis, toujours. Tu es exceptionnel, ne l’oublie jamais du fond de ta cellule, et je t’aime.
Dimanche dernier, Emilie a fait un cassoulet maison, sur ta recette, j’ai acheté pour l’occasion le lard fumé, des saucisses de Strasbourg et des saucisses de volaille. Anton, qui est un imbécile, voulait mettre du chorizo dedans. Comme j’étais sous valium avec un verre de vin de supermarché, je n’ai rien dit, heureusement que Emilie l’a rembarré très vite, elle tient son mari par les couilles, tu me l’avais dit le jour du réveillon, tu avais bien eu raison. Pourtant pour un espagnol, il a le sang chaud, Anton. Comme ce réveillon fut drôle, toi me susurrant à l’oreille des moqueries sur ses mains poilues, et moi te suppliant de me faire des saucisses de foie pour le nouvel an.
Le cassoulet était dans le cuiseur depuis une heure, et ça ne sentait pas aussi bon que lorsque c’était toi qui préparais la viande. Bref, cela ne va pas te plaire mon bébé mais Anton m’a coincée entre deux portes, alors que je sortais de la salle de bains. Il avait bu bière sur bière cet après-midi-là. Il m’a traitée avec une grande vulgarité, il m’a demandée ce que ça faisait d’avoir été la femme d’un boucher assoiffé de sang. Si j’avais aimé ça. Il avait un air dédaigneux (qui rabaisse la personne) et ses yeux étaient fiévreux, et vue la bosse dans son pantalon, il bandait à mort.
Je n’ai rien répondu, et je suis retournée avec Emilie et leurs enfants pour jouer à la Wii dans leur salon minable avec des têtes de cerf et des chouettes empaillées partout. Quel goût affligeant.
Comme tu me l’as demandé la dernière fois dans ta lettre, j’ai ramené des inconnus à la maison. J’ai pu leur faire manger tes bocaux de rillettes cachés dans le mur de la cave. Avec un peu de pain, ils se sont régalés. Ensuite je les ai baisés, en pensant à toi. D’ailleurs la plupart ont accepté de se faire asperger de ton après-rasage ou de ton eau de toilette. Aucun n’a su me prendre comme toi tu me prenais. Ton sexe me manque aussi mon bébé. Aucun n’a su me donner de plaisir, c’est à peine s’ils savaient ce qu’était un clitoris, de vrais hommes autocentrés sur eux-mêmes. Je n’ai pas envie de réitérer (ça veut dire recommencer) l’expérience, et je doute que cela t’excite vraiment, contrairement à ta première idée. Mais si tu veux que je recommence, bébé, il faut que tu me dises, et il faut que tu me dises en détails ce que tu attends de moi, et quelles positions, et quel type d’individus tu veux que j’invite dans notre lit. Le plus de détails et ce sera le mieux parce que sinon, je serai gênée dans ma chair, et quand il n’y a que de la gêne dans le corps, il n’y a pas de plaisir, surtout avec moi qui suis réservée, intérieure et timide.
A part tout ça au travail ça va un peu mieux. La suspicion à mon égard s’est transformée en condescendance (c’est quand les gens te prennent pour moins que rien à cause de l’idée qu’ils se font de ta personne selon ton apparence, tu as vécu ça, je le traverse en ce moment). On me prend pour une victime. Une victime d’un bourreau qui a tout fait pour que je tombe amoureuse de lui. Cela ne servirait absolument à rien de leur fournir la vérité, comme ça, de but en blanc, de toute façon ils ne croiraient pas qu’une jeune femme comme moi ait pu tomber amoureuse d’un homme comme toi. Ce sont des ignorants. Ils ne peuvent pas comprendre, ils croient que leurs cerveaux sont les premières merveilles du monde. S’ils savaient. Mes collègues ont d’étranges conceptions de la réalité, et des barrières dans leurs esprits qu’ils n’arrivent pas à assumer eux-mêmes. Je suis sûre que Max par exemple baise sa sœur étudiante, elle était venue l’autre jour lui rendre visite, ils se sont embrassés sur les lèvres, avec un bout de langue elle a eu sa moustache. Ensuite elle a bu un coca en bouteille de verre, elle léchait le goulot sans s’en rendre compte, comme une adolescente, ce n’était pas beau à voir mais je crois que son frère bandait aussi dur qu’Anton l’autre dimanche. J’en déduis qu’ils n’ont jamais véritablement goûté au grand amour, que c’est pour cela qu’ils ne comprennent pas. Une fille comme moi n’aurait jamais pu tomber amoureuse d’un boucher, qui mange de la cochonnaille à pas d’heures dans leurs esprits étriqués et décadents. Tu n’es pas qu’un « boucher ». Tu es MON boucher. Grâce à toi j’ai pu découvrir le véritable goût du cassoulet, j’ai mangé les meilleures chipolatas, les boudins blancs aux truffes les plus raffinées, les saucisses de Toulouse les plus goûteuses, que tu portais à ma bouche avec ta fourchette en plein ravissement, et tes yeux incandescents qui me regardaient pendant que je mâchais lentement me baisaient violemment et littéralement, me déchiraient les viscères à l’intérieur. Je crois que c’est ce qu’on appelle « la passion ».
Bien sûr, je ne savais pas que toutes ces viandes, plus savoureuses les unes que les autres, tu les prenais sur des jeunes filles et garçons, et j’avoue que j’ai été longtemps en colère que tu m’aies caché ce fait. Oui je l’avoue. Tu m’as demandée dans ta lettre précédente si j’étais toujours fâchée après toi, que tu aies tué tous ces adolescents et jeunes gens pour remplir notre cave et notre frigo de saucisses et autres entrecôtes. Je te réponds : non, plus vraiment. Chacun possède ses petits secrets, tu avais les tiens. Je t’en ai voulu mais je sais aussi que te pardonner de m’avoir menti me permettra de moins souffrir à l’avenir. Comment pourrais-je nier avoir pris du plaisir à goûter ta cuisine quand j’ignorais la provenance des boyaux que tu utilisais ? Aujourd’hui je vois clair dans ce que tu as fait : ce n’était rien que de l’amour, de l’amour à son paroxysme, très peu de femmes peuvent se vanter d’avoir été en compagnie d’un homme prêt à tuer par amour pour elles, pour lui fournir le meilleur du gibier du chasseur. Donc évidemment, je sais bien que cette lettre sera lue par les gens de la prison, et je ne cautionne absolument pas ce que mon mari a fait je tiens à m’adresser à eux directement. Mais je ne peux pas nier avoir pris beaucoup de plaisir à le voir cuisiner quand je croyais que c’était du veau, du porc, ou du bœuf.  Si on ne me l’avait pas dit, je n’aurais jamais fait la différence. Les êtres humains oublient qu’ils ne sont juste de la viande et des os au départ, mais je fais une généralité.
L’autre soir j’ai encore pleuré en regardant tes accoutrements d’Elvis dans le placard. J’ai pris un valium et la moitié d’une bouteille de vin blanc et j’ai regardé à la télévision Fricasse Bordeaux qui manifestait encore contre la présence des femmes noires dans les transports en commun. Deux prêtres la soutenaient, un noir et un blanc, le blanc ressemblait à un vilain sanglier aux yeux exorbités et au groin bouffi. Il dirigeait des excités qui criaient « salopes, retournez dans vos foyers avant 18 heures ». Le prêtre noir criait que la place de la femme noire était dans le ménage et non pas en pleine rue à marcher là où elle voulait et qu’il fallait leur interdire l’accès à tous les endroits publiques. Il a ajouté que c’était la décadence depuis qu’on leur donnait le droit de refuser une proposition de mariage.
Pour me changer les idées, j’ai repassé la cassette de notre émission, Confessions intimes. Je me souviens, nous avions été grassement payés comme des petits cochons de lait, j’avais adoré comment tu avais joué le fan absolu d’Elvis 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Et moi, l’équipe de TF1 me disait de m’énerver toujours plus. Tu te souviens de l’éclat de rire de la psychologue qui était venue nous voir alors que nous étions supposés être au bord de la rupture à cause de ta passion ? Nous nous sommes amusés comme des petits fous. D’autant plus que la directrice du tournage a fini dans mon assiette, ce fut un grand éclat de rire, un de plus, entremêlé de larmes, quand tu as avoué l’avoir fait disparaître quelques mois plus tard pour la transformer en rillettes et autres saucisses de Morteau.
Le seul crime qui a été commis, est un crime amoureux, et il a été commis envers moi. J’en suis la victime infiniment reconnaissante, plus que tu ne le sais, plus que tu ne pourras jamais le croire. En même temps, l’amour est une excuse sublime, qui a justifié et qui justifie encore, dans les usines de surgelés, qu’on mette du cheval, et d’autres types de viande dans les plats voués à la grande consommation. Peut-être écoutent-ils du black métal en rentrant chez eux, après avoir découpé à la chaîne des morceaux de cadavres, et peut-être qu’en même temps, tous ces individus aiment les tulipes. Je n’aurais pas aimé tomber amoureuse d’un boucher fan de Céline Dion. Quelque part, il existe, cet homme, et rien qu’à l’idée cela me fait plus trembler que le vide, le silence et la noirceur de l’espace. Ces pauvres corps célestes, comètes, météores, en direction de la Terre, si seuls. Cette excuse qu’est l’amour brûle comme les plaques de cuisson d’une vieille cuisinière. C’est l’amour qui te guidait. Et l’amour guide toujours les êtres exceptionnels, et moi, avec mes yeux posés sur toi, en tout temps, que ce soit dans nos photos, sur tes habits d’Elvis, dans ma mémoire, ainsi tu es avec moi malgré la distance. Cette proximité mon amour, j’espère que tu pourras la sentir dans cette lettre, même si tu vas la trouver froide (je vais t’expliquer à la fin). Lorsque je passe devant le boucher Rémi, qui ressemble un peu à un razorback d’ailleurs, les saucisses dans sa vitrine comme des guirlandes me donnent envie de chanter Love Me Tender, les larmes plein les yeux.
Mais depuis plusieurs jours comme je te disais, j’ai peur de faire les courses toute seule. Les grands espaces bondés de personnes me terrifient. C’est pour ça que je ramasse les cadavres d’animaux dans la forêt ou sur la route. Je n’aime pas le pigeon, c’est une viande trop rouge et trop forte, mais ça m’aide bien et les gens les détestent ils les tuent sans scrupules. Les courses me sont pénibles, spécialement lorsque je dois acheter de la viande. Avant tu venais avec moi. Avant, tu choisissais celle qui te paraissait être la meilleure, avec la meilleure découpe, la meilleure couleur. Tu reconnaissais très vite les vieilles viandes retouchées et vendues à des prix battant toute concurrence (ils nous remboursent même la différence si on trouve mieux ailleurs). Tu secouais négativement la tête et tu appelais le boucher du magasin, pour lui dire ta façon de penser. Tu faisais des lettres de réclamations aux associations de consommateurs qui collectaient toutes les plaintes de consommateurs abusés et moqués, laissés à eux-mêmes, démunis comme de petits enfants.
Lorsque je suis allée acheter la viande pour Emilie et Anton et leur après-midi cassoulet maison, j’ai eu des visions dans le rayon boucherie. Des morceaux de joues humaines dans des barquettes. Des morceaux de pieds. Des mains coupées saignantes dans la cellophane. Des yeux, des visages entiers. Les gens riaient et achetaient, heureux de devenir cannibales. C’était l’horreur. C’est là que j’ai senti que ça tournait très vite et très fort dans mon esprit et que je ne contrôlais plus rien du tout. J’ai mis mon doigt dans une barquette remplie d’une main tranchée fine, et j’ai hurlé en plein magasin avant de m’évanouir.
Quelques minutes plus tard je me suis réveillée dans un bureau aux murs verts. Les responsables du magasin faisaient une mine consternée et une moue terrible, les pompiers, qui étaient très mignons par ailleurs, me prenaient le pouls. Ils ont expliqué que ces morceaux de viande n’étaient pas une vision. Ils étaient réels. Mais c’était du porc et du bœuf travaillés pour ressembler à des parties du corps humain. C’était pour la promotion d’un stupide jeu vidéo. Le directeur du magasin transpirait à grosses gouttes, il n’avait pas de cheveux en plus, son crâne orange luisait à mort et il sentait le chien mouillé assez fort. Et j’étais encore un peu dans les vapes, et j’ai dit « un jeu vidéo ? Vraiment ? Quel rapport avec la boucherie ou le cannibalisme ? ». Personne n’a su quoi répondre. Et j’ai commencé à pleurer, pleurer et encore pleurer, parce que tu n’étais pas là, avec moi. Et aussi parce que la musique dans le magasin, c’était du Elvis. Je pensais juste à toi en sortant les jambes flageolantes, et ils mettaient du Elvis. Dans le parking une femme avec trois gosses qui braillaient dans la voiture rentraient ses courses dans son coffre. Elle a agrippé son papier-toilette spécial famille (+2 rouleaux gratuits) en me regardant avec un air suspicieux.
Pour terminer cette lettre, Lewis, je veux te dire que tu ne dois pas te sentir seul là où tu es. Enfermé, isolé, avec pour seul contact humain des policiers avec leur mentalité particulière. Tu n’es pas seul car il y a quelque part, quelqu’un en France qui t’aime de tout son cœur. Ce quelqu’un tiendra coûte que coûte pour toi, pour ce que nous avons été. Ce quelqu’un te pardonne tes erreurs passées, tes plus mauvaises boulettes. Ce quelqu’un c’est moi. Et toi, et moi, on ne pourra jamais être séparés. Jamais. Regarde comme nous sommes proches à l’instant où je termine cette lettre et comme nous le serons encore plus quand tu commenceras la prochaine. Réponds-moi vite, mon amour, je n’en peux plus d’attendre de te lire, je t’aime.
Bisous partout, partout, XOXO, avec amour,
Lydie.


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