vendredi 22 juin 2012

Manger = Pouvoir [Hardkey]

Jean étudiait les victuailles étalées devant lui : des tomates, du cheddar, de la moutarde, un pot de confiture à la rhubarbe et 4 patates douces. Ses talents culinaires étant somme toute assez modestes, il ne se sentit pas suffisamment courageux pour se préparer un plat avec des ingrédients aussi disparates. Sa main détacha une des tomates, et il croqua dedans, savourant la sensation de communion avec la nature que l'on éprouve quand on mange un fruit frais. A vrai dire,cette tomate avait été cultivée dans une serre artificielle dans le désert, amenée à Tunis à dos de chameau, transportée sur un bateau qui allait à Dunkerque en passant par Brasillia et New York, et aspergée de crème anti-âge pour la faire passer pour une belle tomate dans la force de sa jeunesse. Mais c'est l'intention qui compte. Jean donc mangeait sa tomate crue quand il entendit un bruit. Un bruit étouffé, venant de derrière-lui. Logiquement, il se retourna, pour tomber nez à nez avec un homme de 2,50 m, habillé d'un gilet violet, d'un pantalon bleu, et sur la tête un casque de chantier. Jean eut peur que ce ne soit un fou, puis il se rappela que la grande majorité de l'humanité avait des goûts vestimentaires de qualité douteuse. Ce qui ne changeait rien au fait que l'homme était un cambrioleur. C'était écrit sur son Badge : « Jean-René, maître-cambrioleur depuis 24 ans, donne cours à la Sorbonne de 8h30 à 10h00 le lundi »

L'expression de panique qui apparut alors sur le visage de Jean poussa son agresseur à l'agresser, ici en le poussant avec une force proportionnelle à sa taille. Alors qu'il volait à travers la cuisine tel un goëland urbain, Jean ne put réprimer une pensée pour son caniche, Rirififiloulou, qu'il avait fait envoyer en prison parce qu'il avait salopé son tapis.

« Si seulement je pouvais revenir en arrière, j'apprendrais que l'amitié peut tout pardonner » se disait-il. Et c'est sur ces paroles remplies de clichés désolants que notre héros s'apprêtait à tirer sa révérence. Mais alors que le sol de sa cuisine aurait dû lui briser la nuque, il atterrit sur une sorte de coussin. Un coussin qui était étrangement doux. Dans son cerveau s'enclenchèrent alors des connexions que le commun des mortels aurait pu définir comme inutiles, qui lui permirent de se rendre compte qu'il reposait … sur des patates douces !

La seule explication à cette incohérence était que les patates douces avaient voulu le protéger. Or les tubercules ne sont pas connus pour leur gentillesse. Ce qui signifiait que c'était Jean qui avait fait bouger ces légumes pour le sauver. Il pouvait donc probablement contrôler tous les aliments !

Comme venue des tréfonds de sa jeunesse, sa voix scanda : « Par le pouvoir de la moutarde ! ». Et d'un coup, la-dite moutarde sortit, fulgurante, de son pot pour foncer vers les yeux de ce pauvre Jean-René. Lequel, atteint d'une allergie peu connue, celle des condiments, s'éteignit dans des souffrances somme toute très supportables.

Se relevant, Jean sentit le pouvoir couler dans ses veines, tel du Coca, le boostant de manière incroyable, avant de lui laisser dans quelques années un diabète. Mais pour l'instant, il comprenait ce que ressentit Peter Parker quand il découvrit ses facultés hors du commun

C'est alors qu'une voix dans sa tête commença a parler. Sans ouvrir la bouche, car il est bien connu qu'un son indépendant n'a pas d'organe vocal. :
« Tu as le pouvoir, maintenant tu dois protéger la vie de tes compagnons, les aliments. »
L'intonation semblant menaçante, Jean décida de prendre quelques cachets de Schyzophine, médicament connu pour faire se taire les voix importunes. Jean se prépara un sandwich moutarde-tomate-rhubarbe, et alla alors se coucher, en se disant qu'il aurait bien le temps de se débarrasser du cadavre demain.
Alors qu'il dormait, notre infortuné héros n'entendit pas le dieu des Aliments l'apostropher violemment :
"Fils de Navet ! (le navet est considéré comme un paria chez les légumes). Ma vengeance sera terrible, assassin."

8 heures plus tard, ce cher Jean se réveilla. Il se sentait tout chose, et n'avait plus aucune sensation de ses bras et de ses jambes. A bien y regarder, il se sentait comme une sorte de bulbe. Autour de lui trônait un immense pot, avec une étiquette utilisant une police illisible, facétie de secrétaire. Jean se concentra et lut : « Moutarde. » C'est alors qu'il comprit. Il lui était arrivé la pire des choses en ce monde : il était devenu un légume. Il ressentait cette sensation d'être délicieux avec du sel et du pain beurré.

Et soudain, il se rendit compte que le seul mot auquel sa conscience accédait était : radis.

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