vendredi 22 juin 2012

Découverte [Hardkey]


Un jeune homme lisait un livre dans son fauteuil. Le titre de l’ouvrage était Philosophiæ Naturalis Principia Mathematica, d’Isaac Newton, et sur la première page on pouvait lire :
« Pour Bertie, de la part de Maurice »

Bertie était donc son nom. Il était absorbé par sa lecture, mais au bout de quelques minutes, il leva les yeux pour regarder l’heure.

23h30.

Il n’allait pas tarder à se diriger vers son lit. Mais tout à coup, le livre se mit à trembler. Les feuilles se détachèrent une à une et vinrent recouvrir Bertie, obstruant sa vue.
Il resta un moment sans bouger, puis entendit un bruit sourd, comme un boulet de canon s’écrasant contre le sol.

Alors, effrayé, il se dépêcha de se lever. Mais en se retournant, il remarqua qu’il se tenait sur une chaise en bois, au milieu d’un chemin de terre. Au-dessus du chemin se trouvait une inscription :
« Académie des sciences post-mortem :
Que nul n’entre ici s’il n’est scientifique. »


Bertie était étonné, car ce qui se trouvait autour de lui ne ressemblait pas à un conte de fée. Pourtant, il était bien rentré dans un livre.

Au loin, derrière l’arche, un homme l’appela :

« Monseigneur, Monseigneur, hâtez-vous, nous n’avons pas toute l’après-midi. »
L’étranger portait une longue perruque, un pourpoint blanc, des bas rouges et de hautes bottes. Il ne se présenta pas, ce n’était pas nécessaire. Devant Bertie, se trouvait le plus grand physicien de tous les temps, Sir Newton lui-même. Notre héros resta sans voix face à son idole. Lequel parlait suffisamment pour deux :

« Vous voilà arrivé dans le jardin de la connaissance. Soyez bienheureux d’accéder à ce lieu divin où les plus grands esprits de la Terre continuent leurs recherches après leur mort. »

Tous deux commencèrent à marcher le long du chemin. Après quelques pas, le-dit sentier se séparait en de nombreux sentiers. Mais Newton, sûr de lui, continua tout droit. Et à leur gauche apparut un spectacle étonnant. Sous une immense cloche en verre, un homme portant un masque à oxygène se trouvait au sommet d’une tour de quelques mètres, un boulet de plomb dans une main et une plume dans l’autre. Malgré l’épaisseur du verre, Bertie le distinguait clairement, mais trop intrigué, ne s’occupa pas de sa tenue.

« Voici Galilée, commenta Newton. Il adore faire cette expérience encore et encore. D’abord dans l’air, comme à son époque, et ensuite dans le vide. D’ailleurs, savez-vous ce qu’il est en train de faire ? »

« Hum… Il me semble qu’il vérifie que des objets de poids différents tombent à la même vitesse, répondit Bertie, dont les cordes vocales avaient retrouvé leur utilisation première. »

« Exactement ! Bien, très bien, vous me semblez parfait. »

« Parfait pour quoi, demanda Bertie ? »

Ignorant la question, Newton continua à marcher le long du chemin central de l’académie. Quelques mètres plus loin, un autre scientifique fut visible sur la droite.

Il était habillé d’une simple toge blanche, légèrement verdie par l’herbe dans laquelle il était assis. A côté de lui, se trouvaient quatre boîtes sur lesquelles on pouvait lire respectivement : « Feu », « Air », « Eau » et « Terre ».

« Ce cher Aristote essaye encore de reconstituer l’ensemble de l’Univers en utilisant uniquement ses quatre « éléments fondamentaux ». Vous savez, sa théorie archaïque qui prétend que tout est constitué des quatre éléments fondamentaux. En ce moment, il bloque sur cet étrange breuvage que vous appelez Coca-Cola", expliqua Isaac, sans prendre le temps de s’arrêter, ni de saluer le Grec.

Enfin, ils arrivèrent au bout du chemin, là où se finissait l’Académie. A cet endroit sortait du sol un magnifique pommier, majestueux mais suffisamment bas pour que l’on puisse cueillir ses fruits. Fruits qui d’ailleurs étaient des pommes de couleurs toutes différentes.

« Nous sommes arrivé à l’arbre des sciences. Voyez-vous, chaque pomme représente une discipline scientifique. Les grosses sont très anciennes, comme la physique, alors que les plus petites sont récentes, comme celle de la génétique. Choisissez votre pomme, observez-la, mais ne la cueillez surtout pas ! prévint Newton. »

Bertie s’approcha alors d’un énorme fruit de couleur bleue, qui représentait la physique. Il ressentait la fièvre et l’excitation des plus grands découvreurs de cette branche au plus profond de son être. La pomme et lui étaient en résonance.

Alors, reproduisant une erreur millénaire, il croqua dans la pomme. Avant même que son guide ait pu commencer à lui crier dessus, tout disparut autour de lui, pour laisser place à l’espace intersidéral. Et notre héros se trouvait chevauchant un rayon lumineux, à une vitesse extrême. Il sentit dans sa main un poids plutôt léger et bien présent.

C’était son miroir, qu’il laissait habituellement dans sa salle de bain. Seul son aspect familier lui permettait de reconnaitre l’objet, car Bertie ne se reflétait pas dedans.

Il se réveilla soudain, dans son fauteuil, le livre ouvert sur ses genoux. Il regarda l’heure.
23h33.
Dommage, pensa-t-il.

C’était un bien beau rêve et il l’avait gâché en transgressant les règles. Mais il ne pouvait ôter de sa tête sa dernière vision. Il n’avait pas de reflet. Donc la lumière qui aurait dû atteindre ses yeux ne pouvait aller plus vite que le rayon sur lequel il se trouvait ? Peut-être cela signifiait-t-il que rien n’allait plus vite que la lumière, et donc que sa vitesse était la limite finale ? Peut-être avait-il vu une plus grande part de la vérité que Newton, qui s’était contenté de se prendre la pomme sur la tête.

Trop fatigué pour se perdre dans les méandres de la physique théorique, Bert alla se coucher. Quelques jours plus tard, il écrirait deux articles sur le sujet, qu’il enverrait à une revue scientifique.

Et il signerait :

Albert Einstein.

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