mercredi 14 mars 2012

OmegAlpha [DarkCowBoy]





Chapitre 1 : L'arrivée

Au commencement, le champ de vision n'est pas suffisant pour embrasser seulement une infime partie de l'infini horizon qui s'offre à nous. Le spectacle est vertigineux, il nous submerge, dépasse notre entendement.
Le champ des possibles. L'espace-temps. L'infini.
Puis, alors que nous avançons toujours plus loin, toujours plus avant, l'horizon se réduit, d'abord imperceptiblement, les cieux et les chemins s'amenuisent peu à peu… Jusqu'à ce qu'enfin, au terme d'un très long voyage, il n'y ait plus devant nous aucune autre voie qu'un tunnel, un large tunnel, au terme duquel se fait jour une lumière qui montre le chemin, indiquant l'ultime destination.

Les sentiments humains n'ont plus cours lors de ce voyage. Ni peur, ni doute n'existe. Ni colère, ni rien. L'esprit est submergé par le spectacle, la conscience semble grandir, prendre toute la place, dépassant le raisonnement, l'entendement humain. Plus de logique, plus de pensée… Plus de mots…
Il n'y a pas de mots…
Blue ressentait pourtant ce froid, vif, glacé, dans tout son être, sa conscience lui donnant l'impression de prendre de l'expansion dans tout son corps, comme si on la remplissait, la gonflait avec de l'air glacé, comme un ballon, jusqu'à presque la faire exploser… Seule sa condition particulière sembla l'empêcher d'éclater…
Elle n'avait pas pu respirer, pas pu avaler ou expirer un souffle de tout le voyage, et elle ne l'avait même pas réalisé, elle n'avait pas eu conscience de suffoquer, de manquer d'oxygène, son esprit ayant presque perdu toute conscience de l'existence de son corps…

Elle allait, emportée malgré elle, propulsée à travers ce tunnel, vers la lumière, presque à regret… A regret de voir l'horizon disparaître, se réduire ainsi, de voir le bout du tunnel, d'un voyage, qu'elle n'avait pas voulu entreprendre, et qu'elle regrettait soudain de quitter. Elle ne voulait pas que cela cesse ! Non !
Elle fut engloutie dans la lumière…

Blue s'écrasa sur le sol, dans la poussière, avant de reprendre brutalement son souffle, comme après avoir pris un coup dans le ventre qui soudain vous coupe la circulation. Elle sentait sa peau, ses chairs, même ses organes en dedans, se remettre en place alors que son corps tout entier était parcouru de fourmillements comme ceux que l'on ressent après avoir bloqué la circulation du sang dans un membre un moment, mais en 20 fois plus puissant.
La gravité semblait presque nouvelle pour elle aussi, lui retournant l'estomac.
La poussière du sol…
Elle respira, se calmant, regardant, bouche ouverte, le sol contre son visage. Ce sol, cette terre, lui était inconnus. Peu à peu, elle réalisait. Cela avait vraiment marché. Elle était vraiment ailleurs…

Ses oreilles, comme le reste de son corps, s'habituèrent peu à peu, et elle put remarquer le calme vacarme qui l'environnait. Des vrombissements de machines étranges venant de part et d'autres, des bruits qui n'avaient rien de familiers. Et des voix. Plusieurs voix, parlant en même temps, vociférant des choses diverses dans des dialectes variés et inconnus de Blue.
Il lui semblait entendre beaucoup de gens, beaucoup de choses, le son semblait augmenter comme elle retrouvait ses sens peu à peu, et, en sentant quelque chose ou quelqu'un passer au-dessus d'elle, Blue commença à paniquer, sans oser se relever… Un plus grand bruit venait par derrière, quelque chose, quelque chose d'énorme.
Un homme attrapa le bras de la jeune femme et l'aida à se redresser, l'entraînant de force avec lui, l'écartant du passage.
A présent debout, emportée par cet inconnu, Blue, hébétée, comme en état de choc, regardait comme au ralenti l'endroit dont on venait de l'arracher.
Un sol de terre sec, aride, poussiéreux, sous lequel, par endroits, on pouvait deviner d'antiques pavés. D'autres gens, comme elle, semblaient être tombés, mais eux se redressaient rapidement et sans aide aucune, pour avancer. Il y avait tant de gens… Ils s'avançaient en cherchant à se disperser, ne cherchant pas tous à se diriger vers le même endroit, mais venant tous, sans exception, du même point… Comme elle… De ce passage, trouble, comme déformé par des ondes de chaleur ou de froid, ce passage dans lequel la lumière et la poussière semblaient s'engouffrer comme emportés par les vents, tourbillonnant comme dans un gigantesque siphon posé verticalement, disparaissant dans une obscurité impossible… L'autre côté du tunnel…
Le bruit et le tumulte autour d'eux ne faisait qu'augmenter. Quelque chose venait, quelque chose de grand.
Blue commençait à vraiment paniquer. Une machine volante, pilotée par un homme, la frôla, et un éclair d'électricité statique jaillit de la jeune femme, frappant l'engin, mettant dans l'instant en panne son moteur délicat. Sans plus aucun contrôle, l'homme et la machine allèrent s'écraser lourdement sur le sol à quelques mètres de là sans trop de dégâts.
Elle n'eut pas le temps de s'excuser, et c'est à peine si l'homme qui l'entraînait avait marqué une pause, réalisant avec étonnement ce qui venait de se produire, qu'un vacarme, plus assourdissant, terrifiant que tout ce qu'il y ait pu avoir auparavant jaillit par le portail obscur, faisant trembler le sol, projetant en arrière certaines gens, ne précédant que d'un instant un gigantesque appareil, trop gros pour passer entre les deux colonnes qui marquaient les limites du passage, les brisant et les faisant s'effondrer de chaque côté, soulevant d'aveuglants nuages de poussière.
Une grande partie du bruit fut alors coupée net. On put entendre ce qui venait de surgir du portail racler le sol, déraper sur plusieurs dizaines de mètres, bousculant et écrasant nombre de choses et de gens sur son passage, avant de s'arrêter, bloqué par un mur qui souffrit grandement de l'impact qu'il eut sur lui.
La poussière recouvrait tout, emplissait l'air, on ne voyait plus rien, mais, malgré les gémissements, et les cliquetis et les vrombissements allant décroissant de certaines machines, on remarquait surtout, soudain, le silence. Les machines se turent peu à peu, et les gens firent, de même, taire leurs gémissements, ne cherchant pas à prononcer un mot.

La poussière, peu à peu, retombait.
Les choses devenaient plus distinctes, et Blue, bien que peu habituée d'ordinaire à la poussière, était la première à tenter de regarder ce qui s'était passé.
Les colonnes étaient brisées. Le portail avait disparu. Il s'était fermé.
Blue tourna la tête, et regarda l'engin qui avait fait tant de dégât, écrasé contre le mur. Il avait gagné un aspect encore plus spectaculaire : Il était coupé net à l'arrière.
En fait, en l'observant, et en extrapolant, Blue comprit qu'il ne s'agissait là que de la flèche d'un engin aux proportions bien plus gigantesques, bien trop gros pour passer entre les colonnes, et que le reste avait dû se perdre, à jamais, derrière, dans les limbes de l'espace-temps.
L'homme qui l'avait sauvée lui tenait toujours le bras, et toussait la poussière dans son autre main, aussi abasourdi qu'elle par le spectacle. Autour d'eux, les gens se redressaient peu à peu, faisaient presque tous preuve d'un calme et d'un aplomb extraordinaires.

Blue tourna alors la tête pour regarder autour d'elle, tenter d'analyser les lieux, d'y reconnaître un élément familier, en vain.
- Vérole de pute mal baisée, mais où je suis tombée ? demanda-t-elle de sa voix d'enfant au timbre métallique.

Chapitre 2 : Réunion

Blue se trouvait, avec tous ceux et tout ce qui avaient à l'évidence traversé le portail dans une immense cours, ceinturée de gigantesques murailles ocres, aveuglant l'horizon de toutes parts. La lumière du soleil, les odeurs, même l'air semblaient complètement différents à Blue. Elle ne savait trop ce qu'elle ressentait, ni comment réagir, si elle devait être émerveillée, ou terrifiée. Elle demeurait, simplement, dès lors, stupéfaite.
L'architecture des lieux semblait ancienne, crue, dépouillée, dépourvue de décorations ou de références à de quelconques divinités, de manière singulièrement sobre et fonctionnelle.

Autour de Blue, dans la poussière retombante, les gens se redressaient peu à peu, calmement, en silence, sans, pour la plupart, s'adresser un mot l'un à l'autre, ni même émettre une plainte.
La plupart de ces gens étaient humains d'aspect, mais un homme musculeux à la mâchoire carré, complètement nu, en se redressant, jeta un regard froid à la jeune femme, prenant visiblement soin de s'éloigner d'elle, dans une attitude semblable à celle d'un androïde aux mécanismes et câblages apparents, lui aussi fraîchement débarqué.
Plusieurs personnes avaient vu l'éclair s'échapper de son corps, faire capoter l'engin, et précéder de peu la catastrophe. Certains avaient compris, et d'autres la soupçonnaient sans doute d'être d'une manière ou d'une autre, au moins en partie, responsable de ce qui était arrivé.

Leurs regards se portèrent vers les autochtones, ceux qui n'avaient visiblement pas traversé le passage. L'un d'eux gesticulait en bondissant près des colonnes détruites, prononçant quelques phrases, et quelques jurons, dans une langue complètement étrangère à Blue. Ils étaient visiblement catastrophés par ce débarquement massif, et surtout, par la destruction inopinée des colonnes, et du procédé qui avait permis d'ouvrir le portail un instant auparavant... Ils fouillaient dans les décombres, et secouaient négativement la tête, signifiant clairement que les dégâts étaient irréparables.

Le sauveur de Blue, lui, après avoir, comme elle, parcouru les alentours du regard, la détaillait à présent.
Métissée, mince et pas très grande, ce qui lui donnait l'air d'une adolescente, les cheveux d'un noir synthétique, Blue avait les yeux bridés, mais sa première particularité, c'était sa peau bleuté. Et le contact électrique, qui fait sur votre corps tous vos poils se hérisser, et même sur votre tête vos cheveux se dresser… Elle était magnétisée, électrifiée, et l'avait toujours été. Elle court-circuitait involontairement la plupart des machines avec un simple toucher, troublait les transmissions par sa seule présence, ce qui avait fait d'elle une paria en son temps...
La plupart des gens ne supportaient pas un contact prolongé avec Blue, mais cela ne semblait pas affecter son sauveur. Chauve, complètement glabre, dénué du moindre poil ou sourcil, il n'était guère affecté de manière visible par l'électricité statique qu'elle générait.

Elle tourna la tête vers lui, étonnée qu'il ne l'ait pas encore lâchée, et, doucement, poliment, il relâcha son étreinte, la laissant se dégager. Elle avait déjà vu des hommes complètement rasés et épilés, mais jamais sans tatouages, piercings ni implants.
Elle se trouvait en un lieu si étranger, face à des gens si différents, qu'elle se mit à craindre soudain que nul ne parle sa langue. Elle chercha néanmoins à se présenter à l'homme qui lui avait sans doute sauvé la vie.
- Je suis Blue.
L'homme lui sourit en lui serrant la main d'un air amusé :
- A n'en pas douter, vous l'êtes !
- Vous parlez ma langue !?! Génial ! Heu… Non… Blue, c'est mon nom. Blue. Et vous ?
- En certains lieux, et à certaines époques, il est extrêmement inconvenant de demander les noms des gens. Les noms sont un secret puissant, farouchement gardés.
- Est-ce que vous savez où nous sommes ?
- Vous l'ignorez donc ?
- Je suis ici par…accident, hésita-t-elle. Je ne voulais pas... Je ne voulais pas partir. Je voulais rester, mais…
- Oh, je comprends. Vous n'êtes sans doute pas la seule à être ici par accident. Beaucoup de voyageurs sont arrivés ici comme vous. Et beaucoup d'autres encore seraient sans doutes arrivés si cet accident ne s'était pas produit…
- Des…Voyageurs…? répéta Blue en regardant les êtres et machines disparates autour d'elle. Ce sont tous des…?
- Oui. La quasi totalité. Il est très difficile, presque impossible pour ceux de cette époque de venir jusqu'ici, même quand la peur et la superstition ne les en empêchent pas.
- Cette époque ? Qu'est-ce que vous voulez dire ? Où sommes-nous, exactement ? Quand sommes-nous vraiment ?
- Vous l'ignorez donc ?

Blue regarda encore autour d'elle, encore choquée par le calme de la plupart des "voyageurs". Ils ne semblaient pas vieux, pour la plupart… Mais en les observant bien, ils avaient quelque chose en commun : une certaine expérience, une certaine maturité. Contrairement à elle, bien peu parmi eux étaient là par accident. Et ils semblaient avoir payé le prix pour pouvoir enfin parvenir jusqu'ici, prix qui les avait endurcis.
Ils ne cherchaient pas à parler car ils savaient que sans doute personne ici ne parlait leurs langues, et combien cela serait vain d'essayer. Ils étaient là pour autre chose. Quelque chose qui échappait à la jeune femme.
Blue se sentait familièrement étrangère et isolée parmi eux.

- Nous sommes tous…?
- Des explorateurs. Des voyageurs. Certains sont, de leurs points de vue, des pionniers, et pourtant, ils ne sont que parmi d'autres.
- Je voulais dire perdus. Echoués ici. Sans moyen de retour ?
Blue observait de loin sans bouger les machines qui avaient traversé le passage. Certaines avaient bien souffert de l'atterrissage. D'autres paraissaient avoir beaucoup vécu… Mais la plupart des machines qu'elle pouvait voir semblaient être de fer, de métal, et d'électricité… Des machines qu'elle ne pourrait elle-même jamais employer ni même approcher sous peine de les détruire malgré elle. Seul le portail original, les colonnes de pierre, détruites, semblaient échapper à cette règle.
Blue se donnait l'impression, malgré la foule, d'être échouée, perdue sur une ile déserte, bien loin de chez elle et de tous ceux qu'elle connaissait.

- Nous ne sommes pas tous vraiment perdus. Beaucoup d'entre nous ont tout fait pour venir ici… Ici et Maintenant.
- Vraiment ? Mais… Où et quand est-ce, ici maintenant ? Et vous… D'où venez-vous exactement ? Vous savez comment rentrer ? Repartir ?
L'homme sourit à Blue, visiblement peu enclin à répondre à des question sur lui-même.
- Je suis un grand voyageur. Je pourrais vous servir de guide, si vous le souhaitez…
- Oui… Oui. S'il vous plaît. Dites-moi…
- Le plus simple sera sans doute pour moi d'abord de vous montrer... Venez. Nous n'avons sans doute pas beaucoup de temps.

Le guide fit alors son office de guide et, d'un ample geste du bras, il désigna une direction à Blue. Derrière eux, une niche, fendue d'un passage de la taille d'une porte au pied du mur donnait visiblement sur un escalier de pierre qui semblait grimper le long de la muraille, vers un chemin de guet au plus haut, parfait point de vue à l'intérieur comme à l'extérieur.
Certaines machines, pouvant voler, s'élevaient dans les airs afin de faire une reconnaissance.

Blue suivait son guide, cherchant à s'accrocher à son bras, appréciant le contact d'un homme qui ne cherchait pas à fuir son étreinte ni à sembler en subir le moindre contre-coup.
Un autre homme, aux cheveux courts, portant un costume étrange, avait tourné la tête vers eux, et s'approchait. Ils les avaient entendus parler dans l'étrange et surnaturel silence sourd qui régnait alentour, malgré la masse de gens, malgré les machines et la poussière.
- Hey ! Vous ! Vous parlez… ? Vous parlez français ? Incroyable !
Il les rejoignit en pressant le pas, continuant de les interpeller. C'était, à n'en pas douter, un étranger ici lui aussi.
- Salut ! Phillips. Phillips Newman. Incroyable de retrouver des gens qui parlent ma langue ici et… Oh, bon sang ! Ça faisait tellement longtemps que je parlais tout seul pour continuer à entendre parler français !
Il s'interrompit, regardant Blue, couverte par la poussière soulevée par le crash de l'engin plus tôt.
- Mon Dieu, Blue ?!? Je ne t'avais pas reconnue sous cette couche de poussière ! Tu as coupé tes…
- Mais ! Je… coupa Blue. Je ne vous connais pas…?
- Oh ! Tu… Vous ne vous souvenez pas de moi ? Vous avez oublié le futur ? Il est vrai que certains disent qu'on ne peut se souvenir du futur, surtout lorsque celui-ci est changé...
- Non. Non, vraiment, je pense plutôt vraiment que je ne vous ai pas encore rencontré.
- Oh ! Oui ! Sans doute, c'est vrai ! C'est possible aussi ! Excusez-moi…
- Ce n'est rien, répondit Blue avec un regard qui semblait dire "il est cinglé celui-là !". Elle se disait qu'il devait y avoir mieux comme technique de drague quand même…

Le Guide n'avait ralenti qu'un instant quand Newman les avait rejoint, et à nouveau, il pressait le pas, entraînant Blue, et à sa suite Newman, à travers l'ouverture dans la niche, pour escalader hâtivement les escaliers de pierre.
Tout en montant, Blue eut une sensation étrange, comme un léger tangage, comme si les escaliers bougeaient sous l'effet d'un léger roulis. Cela paraissait pourtant impossible, vu leur masse.
Newman les accompagnait, s'imposant sans même demander s'il les dérangeait. Il n'avait pas décroché un mot envers le guide de Blue, ne lui avait pas demandé qui il était, comme s'il le savait.

Grimpant pour suivre aussi vite qu'elle le pouvait, Blue jetait des regards à la cour, qu'ils dominaient de plus en plus, continuant d'abreuver son guide de questions.
Elle venait de songer qu'avant le crash qui avait détruit les colonnes et fait plusieurs victimes, dû sans doute au diamètre excessif de l'appareil qui avait tenté de passer le portail, elle n'avait pas vu de victimes jonchées sur le sol. Elle demanda :
- Personne n'est arrivé mort, on dirait… personne n'a été tué par le voyage lui même… Par le choc, ou…
Le guide répondit :
- On ne peut pas sortir du voyage si on meurt. On se perd dans le voyage, à jamais. Il faut être conscient pour arriver quelque part. Même ici. Au terminus...
Elle regardait encore, ceux qui, dans la cour, ou dans des bâtisses, ne semblaient pas être venus par le portail, cherchant à deviner qui ils étaient.
- Cette cité.. Ces gens… Ceux qui ne sont pas, comme nous, des voyageurs, venus ici volontairement ou non… Tous ceux-là… Sont-ils issus d'un passé lointain, précédent…? Ou sont-ils l'ultime apogée de l'histoire de l'humanité ? Est-ce le futur, ou le passé…?
- Peut-être sont-ils les deux a la fois. En même temps. Vous allez comprendre ! Venez, chère enfant...

Newman sourit. Il repensa à toutes les théories dont on l'avait autrefois abreuvé, affirmant que le voyage dans le temps n'était possible que dans une seule direction, vers l'avenir. Toutes ces théories qui s'étaient effondrées quand ils avaient commencé à remonter dans le passé.

Blue regarda encore vers la cour, puis jeta un regard plein de détresse à Newman, semblant lui implorer de répondre s'il le savait, avant de se retourner encore vers son guide pour lui demander à nouveau :
- Mais OU sommes-nous, bon sang de Viagra !?!?!
Newman sourit encore à sa question, tout en s'accrochant au mur un instant. Lui aussi sentait le tangage, de plus en plus présent, comme s'ils se trouvaient sur un bateau balayé par les flots.

Ils arrivèrent enfin au sommet de la muraille. Blue regardait en dedans, la foule des étranges voyageurs débarqués qui semblait se disperser de plus en plus rapidement, les colonnes brisées, les bâtisses de pierre et de terre séchées, et le plus grand bâtiment, sorte de pyramide faite de blocs de plus en plus petits entassés les uns sur les autres.
Là, on pouvait deviner un homme… L'architecte, le maître d'oeuvre, sans doute, de ces colonnes brisées, qui silencieusement pleurait. C'était terminé. Pas simplement sa création, son invention, mais tout ce qu'il désirait en faire, tout ce pourquoi il l'avait créer. Jamais il ne pourrait accomplir. Il pleurait sur le gâchis, sur son échec, moins sur les dégâts eux-mêmes, ou sur le débarquement d'étrangers, que sur ses plans désormais à jamais hors d'atteintes, irréalisables.
Il pleurait de frustation, de désespoir.

Le guide eut alors a nouveau un ample geste du bras pour indiquer à Blue où porter le regard, à l'extérieur des murailles. Blue suivit des yeux sa main, et se retourna, pour voir, au-delà des murailles, quelques petites huttes de terre, un peu de terre et de pierre, et la mer, l'océan. L'océan qui venait se perdre, chuter, au dela d'une ligne courbe, dans le vide.
Blue écarquilla les yeux, le souffle coupé par le spectacle.
Ils étaient au bord d'un précipice sans fond, dans lequel venait se vider l'océan.
Le guide déclara calmement :
- Nous sommes au point de convergence. Au commencement. A la fin. Bienvenue à Atlantis.

Chapitre 3 : La fin du Monde

L'eau semble tomber dans l'infini aussi loin que porte l'horizon, sans faire grand bruit. Le fait qu'il y ait si peu de bruit pour un spectacle si spectaculaire est assourdissant. En y réfléchissant, elle réalise peu à peu que l'eau ne rencontre aucun obstacle, chutant à l'infini, et c'est sans doute cette absence d'obstacles qui fait cette absence de bruit.
Newman, les ayant rejoints, regardait à son tour et resta un instant bouche bée avant de souffler :
- C'était donc vrai… Avant… C'était vraiment comme ça avant… Mais…C'est impossible !

Blue commença à faire quelques pas sur la muraille, pour voir plus loin, mais ses deux compagnons restèrent sur place, à contempler l'horizon, et le néant, au-delà de l'océan.
Elle se retourna vers Newman et son guide et s'adressa à Newman.
- Tu as dit "avant" ? C'est le passé, donc, c'est ça ? Atlantis ?

Blue, à l'inverse de ses compagnons, ne semblait pas comprendre l'impossibilité du spectacle devant elle. Pour elle, il s'agissait là sans doute de la plus gigantesque chute d'eau qui soit, et voila. C'était beau, mais moins grave que d'autres choses à ses yeux.
- Ben quoi ? C'est quoi ?
- Le bord du monde. La fin du monde. Au-delà duquel il n'y a rien d'autre que le néant. C'est bien ça, hein ? répondit Newman, effondré de voir ses certitudes s'évanouir, de voir un impossible mythe devant lui matérialisé.
Tout le monde a entendu parler de ce mythe, lorsque l'on croyait la Terre plate, comme une assiette, celle-ci avait dès lors forcément des bords, forcément une fin. Et elle était devant eux. Incontestable, aberrante réalité.
Newman refusait d'accepter ce qu'il voyait, cherchant une explication, cherchant à comprendre.
- Mais non ! Non ! C'est impossible… Qu'est-ce qui s'est passé ? Non ! Non, ça ne peut être le passé ! Ce n'est pas le passé ! C'est impossible ! Ce doit être… C'est le futur ! Le futur ! La fin du monde ! C'est ça ! Ils ont dû briser le monde…

Blue, devant la réaction de Newman, ne cherchait plus à poser de question. Le guide, lui, calmement, observait, de part et d'autre de la muraille.
Newman commença à élaborer fiévreusement une théorie qui expliquerait la situation.
- La Terre. La Terre a dû être détruite. Il y a peu. Juste avant notre arrivée! Elle est en train de se fendre, d'exploser, et nous nous trouvons dans une sorte d'oeil du cyclone, d'oasis temporaire de paix au milieu de…
- La fin du monde !
- Oui ! C'est la fin du monde ! C'est pour ça, ce monde ! Tous ces voyageurs ! Ces gens ! Cette foule ! Vous ! Ils sont venus assister à la fin du monde !

Blue n'arrivait pas à y croire. La fin du monde ? Elle en déduisait sans l'exprimer que c'était pour fuir, comme elle l'avait fait, qu'ils avaient ouvert ce portail temporel... A moins qu'ils n'aient eux même provoqué ce cataclysme en activant la machine désormais brisée.
Elle commençait à paniquer. Elle avait fui son monde et son époque pour survivre, et voila qu'elle se retrouvait face à la fin des temps !
Elle tenta de temperer :
- Peut-être, peut-être que le monde n'est pas détruit, peut-être que c'est juste cette cité, cette île, qui s'est élevée dans les airs, contre la gravité… Loin dans le ciel… L'eau retomberait naturellement plus bas, dans l'océan, sur Terre… C'est la machine ! Elle a dû faire s'élever l'ile d'Atlantis ! C'est possible, non ?

Le guide ne répondait pas. Lui savait. C'est lui qui les avait fait monter jusque-là. Il savait quel spectacle les attendait et demeurait d'un calme olympien.

Il y avait toujours cet impression de tangage étrange, renforcé sans doute par la hauteur à laquelle ils se trouvaient.
- J'ai l'impression de devenir sourde… gémit Blue.
- Les sons eux-mêmes sont absorbés, emportés. C'est ce qui provoque cet étrange effet acoustique, cette absence d'écho. lui expliqua le guide.

A son tour, comme Blue avant lui, Newman se retourna vers l'homme mystérieux dépourvu de poils et de cheveux, et l'interrogea comme elle l'avait fait avant lui :

- Vous savez ce qui arrive ? Ce qui s'est passé ? Ce qui va se passer ? Répondez !

Le guide respira calmement, achevant sa contemplation du spectacle de désolation. Ne s'était-il pas de lui-même défini comme un guide, un guide qui allait montrer, expliquer ce qui se passait ici ? Il se retourna vers eux et commença à leur dire calmement :

- Il existe un mythe, qui dit que celui qui inventera ou inventa la première machine à voyager dans le temps, et l'allumera ou l'alluma pour la première fois verra aussitôt débarquer tous les voyageurs du temps, venus assister à ça.
- Oui. J'ai entendu parler de ça… Mais… C'est…
Le guide désigna d'un geste du bras droit, la main paume vers le ciel, l'intérieur de la cour où tous ces gens avaient débarqué avant que le passage ne soit accidentellement brisé.
- Un autre mythe dit que les pensées, les ondes émises par l'esprit, peuvent aller plus vite que la lumière et remonter le temps… Surtout lors d'évènements cataclysmiques traumatisants. Ils se retrouvent comme propulsés. Plus majeure est la catastrophe, plus loin dans le passé remonteraient ses échos. Et qu'ainsi, en rêve, en transe, les gens du passé seraient inconsciemment hantés par les visions, les images d'un futur qu'ils ne peuvent comprendre.
Le guide étendit l'autre bras, paume vers le haut, désignant l'autre côté de la muraille, le vide dans lequel venait se précipiter les eaux de l'océan.

Blue ne comprenait pas :
- Mais l'un, c'est le passé, et l'autre l'avenir, non ? C'est impossible que…
Le guide, dans un geste ample et coordonné, ramena ses deux mains devant lui, jusqu'à se croiser les doigts, comme dans une démonstration. Comme pour démontrer l'évidence qu'ici, en ce lieu, dans un moment, les deux s'entremêleraient.

Newman tenta de contredire le guide.
- Une autre superstition dit qu'on ne pourrait pas remonter avant l'invention de la première machine à voyager dans le temps, mais ça, je n'y ai jamais cru…
- Non, bien sûr. Particulièrement car vous, comme beaucoup d'autres, pensiez être les premiers à mettre au point un tel procédé. Que nul n'avait pu le faire avant vous.
- Non ! Je veux dire… Je veux dire, ce que vous dites n'a pas de sens ! Ça ne peut pas être le passé ! Je sais que j'ai remonté toujours plus loin le passé, mais… Mais ça ne peut pas être le passé ! Il y a forcément un avant !

Le guide se dirigea vers les escaliers et commença à les redescendre.
- Venez… Je vais vous montrer. Je vais vous raconter, vous expliquer.


Chapitre 4 : L'ultime Sortilège

En descendant les escaliers, le guide tenta de leur expliquer ce dont ils étaient les témoins ici.
- La porte était un leurre. Un moyen de s'échapper, croyaient certains de ses bâtisseurs, qui sentaient la fin arriver, mais en tant que première/dernière machine temporelle, il était prévisible qu'elle attire à elle TOUS les voyageurs du temps, qu'ils remontent ou redescendent le flux. Tous veulent assister au commencement. A la fin.

Tous les trois s'appuyaient à présent au mur pour descendre, pour ne pas perdre l'équilibre en raison du tangage de plus en plus présent. Ils croisaient dans cet escalier d'autres visiteurs qui montaient précipitamment pour voir de leurs yeux ce qu'ils avaient vu…
Blue, la peur au ventre, angoissée, se disait que pour demeurer aussi calme, leur guide devait forcément avoir un système pour pouvoir s'enfuir, s'échapper. Et que comme il ne cherchait pas à la fuir ou la tenir éloignée, ce procédé devait probablement pouvoir résister à l'émission qu'elle dégelait. En le suivant, elle voulait croire qu'elle pourrait s'échapper avec lui.

A mi-chemin, le guide pointa du doigt au faîte de la pyramide, l'homme que Blue avait remarqué plus tôt.
- L'homme qui a tout changé, celui qui compte, c'est celui là, là-bas.
- Qu'est-ce qu'il fait ?
- C'est lui qui a bâti les colonnes, le passage. Le premier, le dernier passage.
- Ça ne peut pas être juste les colonnes. Il doit y avoir plus.
- En effet. En dessous. Ses compatriotes songeaient qu'il allait leur donner le contrôle du temps, de l'espace, de l'univers. Mais son but est tout autre.
- Qu'est-ce qu'il veut faire ?
- Refaire le monde. Le changer à jamais. Boucler la boucle.
- Quoi ?
- La fin du monde pour cet homme, ce fut la perte de sa famille. De sa femme, de ses enfants, et de leurs enfants. Une tragédie née de la malveillance d'autrui, qu'aucune justice ne saurait ramener. Il ne voulait pas se venger, il savait que cela ne saurait combler la douleur, le vide laissé dans sa vie.
- Alors…Il a conçu une machine pour remonter le cours du temps, tenter de changer le passé, de sauver les siens. C'est ça ?
- En vain, pourrait-on croire. Venez … Il faut aller en dessous. Voir cet homme. Et sa machine.

Le trio descendit l'escalier des murailles jusqu'à la niche, et là, ils trouvèrent un passage qui descendait plus bas, dans des souterrains.

- Il voulait lutter contre la disparition des êtres qui peuvent nous être chers. Pas simplement pour lui même, mais pour l'humanité entière. Trouver un moyen pour qu'à terme, on puisse toujours retrouver ses proches, éteindre la souffrance…

Dans l'obscurité souterraine, illuminée de torches, de miroirs habilement ajustés, et de matériaux phosphorescents, le petit groupe commença à distinguer la plus cyclopéenne des structures, une sorte de machine complexe et aberrante d'une taille inouïe.
La machine, enfouie, devait être plusieurs fois plus grande que la pyramide au-dessus d'eux.
Blue s'exclama :
- Oh mon Dieu… C'est…
- …Titanesque. Inimaginable. Comment…? la coupa Newman.

On pouvait distinguer sur la machine des plates-formes, et des ouvertures, où l'on pouvait voir des hommes, assis en tailleur, méditer. Autour d'eux, des sortes de cables étranges, véhiculant des liquides, et des fumées… Partout, des sculptures et des fresques étranges, difficilement discernables dans la pénombre.

- Il veut changer l'Histoire ? demanda Newman.
- Non, la lier… répondit le guide. Ici, toutes les histoires se retrouvent liées… Elles trouvent un sens…
- Elles avaient déjà un sens, vous savez ça ? C'est juste que vous ne l'acceptiez pas. Vous refusiez ça… Ils vous fallait autre chose, ça, parce que votre esprit n'acceptait pas la réalité, vous avez choisi de réécrire la réalité...
- La réalité, reprit le guide. La voilà la clé. La réalité est une perception, un consensus. On peut l'influencer, la changer, en liant tous les esprits dans une communion. C'est ce qu'il a fait ici. Par la foi. la méditation, l'endoctrinement et les drogues. Il a changé les lois fondamentales de la nature. Il lui a fallu pénétrer la conscience universelle, atteindre le Volksgeist, changer le Zeitgeist pour commencer, et aller plus loin, modifier le Weltgeist. Ce qui se passe en ce moment. Ici, l'Homme a renié la Nature a jamais.

- Mais dans quel but ? Ouvrir les portes du temps ?
- Pas seulement, non. Plutôt de les fermer, en fait. Son but était de mettre fin à la fin. De créer un moyen pour que nul ne connaisse plus une perte définitive comme la sienne. Il a créé une boucle. Une bulle qui couperait ce monde de l'ordre qui régissait l'univers… Où la fin deviendrait le commencement.
- Je ne comprends pas… Il veut empêcher les gens de mourir ?
- Les gens ne vont plus mourir ?
- Si. Ils vont mourir. Mais désormais, ils ne vont plus disparaître. Pris dans la bulle, ils vont mourir, tout oublier puis renaître, vivre, avoir des enfants, puis mourir, puis renaître, encore et encore indéfiniment.

Newman tourna la tête vers les bas-reliefs sculptés sur certaines parois de la monstrueuse machine, et reconnut :
- L'ouroboros… Le ruban de Moebius…
- Ici est la fin, recommença le guide. Ici est le début. Le point de convergence où l'avenir devient le passé et le passé l'avenir.
- Alors, c'est la fin, c'est vraiment la fin… La fin de la nature, la destruction de l'ordre des choses, le terme artificiel du cours des choses, de l'évolution…
- Oui. Ni vous, dit-il à Blue, ni lui, là, dit-il en désignant un autre voyageur à la peau grise éléphantesque, et aux yeux trois fois trop grand pour sa tête, n'êtes des évolutions de l'être humain. Juste des accidents, des accommodements.

Newman écarquillait les yeux, et protestait, tentant de réaliser les événements qui le dépassaient.
- Non ! Non ! Il ne peut pas faire ça ! Il y a des choses plus importantes que l'humanité ! On ne peut pas le laisser faire ! Non ! Non ! Je ne pourrais pas revivre éternellement ma propre vie ! Refaire les mêmes erreurs, encore et encore, sans savoir, sans évoluer, sans apprendre… Ce serait comme être frappé d'Alzheimer ! Ce serait horrible… Toujours être… Piégé ! Sans issue !

Blue s'avança, fascinée, tentant de discerner un peu mieux la machine, sa structure, les gens qui la peuplaient en prière. Elle tendit la main.
- Une seconde chance. Indéfiniment. Pouvoir tout recommencer…
L'entendant séduite par l'idée, Newman se retourna vers elle, et voulut lui saisir le bras, se prenant une décharge électrique.
- Mais tu ne comprends pas ! Plus rien n'aurait de sens ni d'importance s'il fait ça ! Peu importe ce que tu fais, tu recommenceras de la même façon ! Plus rien ne pourra évoluer ! L'histoire sera écrite d'avance ! Plus rien ne pourra changer !
- Mais…Vous ne savez pas ce que c'est d'être différent… A l'écart… Une mutation. Un monstre qui n'a sa place nulle part. … Arrêter l'évolution, c'est faire en sorte qu'il n'y ait plus d'êtres différents… Plus de gens comme moi… C'est bien, non ? Si personne ne souffre plus comme moi… Ou comme lui !
- Non, Blue ! C'est plus grave que ça ! Plus important que ça ! Tu ne comprends pas ! Il faut l'arrêter ! Il faut tout stopper !
- NON ! Toi, tu ne comprends pas !
- QUOI ?!?
- Si nous sommes là, tous là, et si ce que vous dites est vrai, dit-elle en se tournant vers le guide, alors, alors nous sommes déjà dans la boucle, non ? C'est déjà commencé ? La boucle ? Elle était amorcée…
- Avant l'ouverture du passage. En effet.
- Mais alors, de toutes façons, on ne peut rien changer…?
- Seulement observer.
- Non…

Newman comprit enfin. Il était piégé. Dans le temps, dans ce monde. Dans la boucle.
Il n'en sortirait jamais.
C'était déjà trop tard.
L'histoire était déjà écrite, et il n'y pourrait rien changer.
Blue s'éloigna de lui, et se rapprocha du guide. Autour d'eux, tout commençait à trembler. Des roches du plafond commençaient à se décrocher. La machine elle-même commençait à vaciller.
- Tout va s'effondrer, pas vrai ?
- En effet. Et s'abîmer, sombrer au plus profond des océans…
- Comme c'est déjà arrivé… Mais… Si vous savez déjà tout ça, alors, qu'est-ce que vous faites là ?
- Il y a toujours à apprendre du passé, du présent et de l'avenir. Tant de choses, tant de secrets et de technologies ont été perdues, oubliées, enfouies ou effacées. On croit toujours tout savoir, que l'époque que l'on connaît est au pinacle de la connaissance, que l'on sait tout ou presque, et que ceux d'avant étaient des imbéciles ignorants. Il n'en est rien. Il y a des imbéciles à toutes les époques. Tout comme des génies, et des savants. Je n'ai pas la prétention de savoir tout ce qu'il y a à savoir, et j'ai soif d'en apprendre encore davantage.

Les révélations avaient apporté une certaine paix à Blue.
Elle remarqua les autres voyageurs qui, comme eux, étaient descendus, remonter précipitamment face aux effondrements.
- Ils s'en vont tous ! Mais pourquoi ? Où ils vont ?
- C'est la dernière chance de partir ! Le dernier voyage, la seconde porte. Et vous, chère enfant ? Voulez-vous partir vous aussi ? Rentrer chez vous, retrouver vos amis ?
- Oui… Je… Plus que tout… Mais… Si je… Si je suis arrivée là, c'est parce que je n'ai plus personne là bas… Que je n'ai plus nulle part ou rentrer...
- Il y a toujours d'autres lieux. D'autres époques. D'autres moments. Vous verrez. Allez ! La cité va être détruite. Engloutie.

Avec son guide, elle se retourna pour commencer à remonter. Newman restait interdit, figé sur place.
- Newman ! Newman, venez !
Il restait sans réaction. Elle se précipita vers lui, et lui attrapa la main, ce qui lui donna un violent coup de jus, le ramenant à la réalité.
-Il faut partir ! Il faut partir maintenant ! Il faut remonter ! Venez !

Newman, encore hébété, ne chercha pas à répliquer, et suivit l'étrange jeune femme bleutée et son guide. En détournant les yeux de la machine, en la regardant, il remarqua qu'elle brillait légèrement dans l'obscurité, d'un fin halo bleuté.

Ils débouchèrent de la niche de pierre, à nouveau dans la cour, aveuglés un instant par la lumière du soleil et la poussière en suspension.
Partout, dans la cour, les véhicules s'envolaient, ou disparaissaient dans des gerbes de lumière. On pouvait voir les autochtones, comprenant qu'ils s'enfuyaient, tenter de s'agripper aux chrononautes, afin de fuir avec eux.

Blue regarda vers le haut de la pyramide, comme un point à l'horizon, l'architecte qu'elle avait vu pleurer.
- Il va mourir, alors ?
- Et renaître, oui. répondit son guide.
- Mais sans sa famille…
- Il oubliera.
- Et moi…?
- Tu verras…

C'est alors qu'un des voyageurs sembla déchirer l'espace lui même, ouvrant une brèche semblable à une blessure obscène dans la fabrique du temps.
Blue reconnut les lumières familières du passage.
Le guide n'eut pas même à la pousser.
- Allez… Nous nous reverrons, c'est écrit.

Le spectacle était aveuglant, vertigineux.
Elle s'engouffra dans le passage...

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