samedi 10 mars 2012

Fin de semaine [Southeast Jones]


– Ils vous attendent, Monsieur.
– Je sais, nous n’en sommes pas à quelques  minutes, n’est-ce pas ?
– J’ai bien peur que si, Monsieur.
– C’est donc ainsi que cela doit se terminer…
            Sur les écrans se déroulait un étrange jeu vidéo, à ceci près que ce n’était pas un jeu, c’était la fin d’un monde, peut-être même la fin du monde… en direct.
– Les Chinois viennent d’ouvrir leurs silos, les Russes ne devraient pas tarder à en faire autant.
            – Et nous ?
– Non, vous savez bien que nous ne bougerons pas, pas de cette manière, nous avons les moyens d’empêcher cela, de laisser une chance au monde.
– Aux Hommes ?
– Peut-être, nous n’en sommes pas absolument certains.
– Du moins restera-t-il quelque chose de vivant, il faudra combien de temps ?
– Une minute pour le déploiement, quatorze pour la diffusion.
– C’est rapide.
– Bien plus que les missiles, si nous faisons vite, pas un ne décollera. Les effets sont foudroyants, tout sera terminé en moins de vingt minutes.
            L’aide de camp pleurait, c’était un jeune gars d’à peine trente ans. D’ailleurs les avait-il seulement ? Il aurait pu avoir toute la vie devant lui, avait-il une femme, des enfants… Plus rien n’avait vraiment d’importance. Le président eut soudain très froid, – mon Dieu, pardonnez-nous, pensa-t-il.
Les murs de la salle étaient nus, au centre, un siège devant un simple clavier et un écran.
            - Vous avez le code ?
            Le jeune homme lui tendit une petite cassette métallique, ses mains tremblaient.
            Le président appuya sa main sur les capteurs et murmura le mot, un mot que lui seul connaissait, un mot terrible et définitif : «  ragnarök ». Un compartiment se dévoila, à côté du clavier se trouvait une petite torche à ultraviolets, il l’alluma et en balaya le fond de la cassette. Une série de chiffres apparut, il prit une profonde inspiration et commença à les encoder.
            Il dut s’y reprendre  à trois reprises.

            « LINCEUL » était l’arme ultime, une onde qui agissait sur une certaine zone du cerveau, là d’où partaient des ordres aussi simples et intuitifs que cligner des yeux… ou respirer. Une personne sur mille y était réfractaire, cela donnait le chiffre ahurissant de cinq milliards de morts. La terre allait devenir un immense charnier, des épidémies se déclareraient immanquablement, probablement la peste et le choléra, la famine et les conflits qui s’ensuivraient  feraient encore nombre de victimes, à terme, les meilleures estimations annonçaient moins de dix millions de survivants. Et c’est sur lui que reposait le lourd fardeau de la rédemption de l’humanité. Les animaux n’étaient pas affectés par LINCEUL, le monde allait avoir de nouveaux maîtres pendant pas mal de siècles…
            – Monsieur, le temps presse.
            – Oui, je vais leur parler… encore une minute, je cherche les mots…
            – Vous leur devez au moins cela, songez à ce qu’ils ont enduré, le poids d’un tel secret…ils sont tous là, ils attendent…
            – Ouvrez la fréquence.
            Il leur parla pendant quinze minutes, il leur dit sa tristesse, sa peur, mais aussi ses espoirs…
            Ensemble, ils prièrent, lui qui ne priait que devant les caméras ou les membres bigots et bien pensants du Congrès. Une centaine de personnes cloîtrée dans ce bunker enfoui sous deux cents mètres de terre, d’acier et de béton, une muraille qui supporterait aisément une explosion directe de cent mégatonnes mais totalement transparente aux ondes mortelles… Quelque part, un homme se mit à chanter, sa voix était mêlée de sanglots mais il reconnut facilement une vieille ballade de Dylan… Il se laissa aller, doucement d’abord, puis de plus en plus fort… « For the times they are a-changin… »
D’une main qui ne tremblait plus il frappa violemment sur «ENTER ».
            Un millier de satellites de communication activèrent instantanément un mécanisme dont la fonction exacte n’était connue que d’un nombre très restreint de personnes.
Très exactement seize minutes et dix-sept secondes plus tard, un grand calme régna soudain sur toute la Terre.
Il y eut un soir et il y eut un matin, huitième jour…

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